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Samuel Valensi : “Ce que j’aime dans le théâtre c’est la représentation sublimée de nos conflits”

Samuel Valensi © D.R.

Samuel Valensi, auteur et metteur en scène de talent, nous parle de son nouveau projet : Coupures. Il revient sur ses expériences, ses choix et ses ambitions futures.

Parlez-nous un peu de vous, pouvez-vous vous présenter ?

Je m’appelle Samuel Valensi, je suis auteur et metteur en scène. J’ai fondé une compagnie de théâtre qui s’appelle La Poursuite du Bleu il y a six ans et demi. Je suis également enseignant à HEC et à l’ICART et membre d’un think-tank qui s’appelle The Shift Project ; celui-ci cherche à éclairer et influencer le débat public sur l’énergie et le climat.
J’ai fait des études classiques, loin du milieu artistique à la base, puisque je suis diplômé d’HEC Paris. J’ai aussi une licence de philosophie de la Sorbonne Paris IV.

Pouvez-vous nous raconter, à quel âge et pourquoi vous avez commencé le théâtre et l’écriture ?

C’est pendant mes études que j’ai compris que je ne pourrais pas me lancer dans un parcours classique, j’ai traversé une crise quant au sens de mon apprentissage et des opportunités qu’il m’offrait. Je n’arrivais pas à me projeter et je voyais partout les externalités du système auquel j’allais participer ; puis je trouvais l’enseignement souvent très normatif et peu inspirant. Pour être honnête, je parlais à ma famille d’arrêter pour me tourner vers des études artistiques. C’est à la même période, tardivement donc, que j’ai découvert le théâtre. D’abord en amateur, en prenant la tête de la comédie musicale d’HEC, puis j’ai passé des auditions. Moi qui n’avais jamais fait de théâtre, à 20 ans, je me suis retrouvé dans un, puis deux spectacles en parallèle de mes études.

Au moment de trouver un stage, je n’arrivais pas à me projeter dans les entreprises présentes sur les salons d’HEC et c’est là que le hasard a bien fait les choses. Mon père, vétérinaire, soignait à l’époque les chats de Philippe Tesson, qui venait de racheter le Théâtre de Poche ; il lui a parlé de moi lors d’une consultation. J’aime bien dire que ce sont les chats de Philippe Tesson qui m’ont présenté à lui. Ça a été une rencontre marquante et j’ai été son assistant à la production du lieu pendant près d’un an.

Concernant l’écriture, j’ai toujours écrit pour moi, depuis l’adolescence, des nouvelles et surtout des chansons. Mais après mes études, j’avais totalement arrêté : j’ai produit un spectacle pendant deux ans au Théâtre du Soleil. C’est lors de ce spectacle que j’ai rencontré Les Petits Frères des Pauvres, une association à qui on donnait des places lors d’un spectacle produit pour le théâtre du Soleil. C’est là que je me suis dit qu’il serait intéressant de réaliser des témoignages, d’organiser des ateliers de théâtre. Mon envie d’écrire a alors repris le dessus. L’inversion de la courbe est née à ce moment-là, en lien étroit avec eux.

Comment décririez-vous votre univers artistique ? Quelles sont vos inspirations ?

Adolescent, je rêvais d’être réalisateur. Mon travail au théâtre est très influencé par l’image. Je parle d’ailleurs de “fondu”, de “cut”, de “travelling”, de “plans séquence” pendant les répétitions. J’ai des inspirations très diverses : j’ai découvert très tôt les vieux films de Capra, l’engagement de Sidney Lumet ou de Ken Loach, la modernité du storytelling avec les Tarantino. Au plateau, je cherche cet équilibre entre le rythme, l’image et le propos.
Côté théâtre, c’est à seulement 20 ans que j’ai reçu mes plus grandes gifles en termes d’imagerie, avec des auteurs et metteurs en scène comme Jean Bellorini, Thomas Ostermeier ou encore Côme de Bellescize. J’ai aussi été fasciné par le rythme de Michalik ou les grandes fresques de Wajdi Mouwad. Tous sont d’ailleurs très cinématographiques dans leurs théâtres.
Ce que j’aime dans le théâtre c’est la représentation sublimée de nos conflits, c’est la manière dont le théâtre nous permet d’évoquer tous ensemble des choses qui nous divisent, c’est une division partagée. À ce titre, je crois que le plus beau spectacle que j’ai vu reste Professeur Bernhardi de Schnitzler, mis en scène par Thomas Ostermeier. Je me souviens de l’état de la salle, tout le monde semblait profondément touché, ému et perdu. Je crois que c’est le plus juste endroit de théâtre.

Comment réussissez-vous à combiner vos différentes missions ? Et trouvez-vous des liens entre elles ?

En ne dormant pas beaucoup ! Au travers de l’écriture, de la mise en scène, des cours que je donne, de mes engagements bénévoles avec le Shift, tout fait sens, c’est le même engagement que je transmets.
Je veux donner la possibilité de déconstruire et d’interroger les modèles avec lesquels nous avons grandi. Je crois que ça n’a jamais été autant nécessaire compte tenu des crises sociales, économiques et écologiques que nous traversons. C’est ce qui est au cœur de mon travail que ce soit en tant qu’enseignant, auteur, metteur en scène ou engagé dans le milieu associatif.

Quels sont vos projets en cours ?

Deux projets sont en cours. D’abord, la reprise de L’inversion de la courbe au Théâtre de Belleville. Elle était prévue en janvier mais nous risquons fortement de voir les dates décalées aux mois suivants. C’est un spectacle qui parle de la montée du chômage et de l’affirmation du tout-productif comme mode de vie. C’est un récit sur la manière dont la logique de rentabilité saisit tout dans nos vies : du travail au sport en passant par notre intimité.

L’Inversion de la Courbe, © Lionel Blancafort

Le projet apparaît d’une actualité absolument brûlante. Nous venons d’en faire refaire une lecture avec l’équipe : en 2017, j’y écrivais que la visioconférence était l’avenir, je n’imaginais pas si bien dire…
Puis il y a notre nouveau projet, Coupures, qui prend le prétexte de la 5G pour parler de l’état de notre démocratie. C’est un format très direct, le public assiste et participe à un débat public le temps d’une soirée. Au plateau, je suis accompagné de deux musiciennes incroyables, Alice Bourlier et Lison Favard, et de deux comédien.ne.s avec qui j’ai la chance de beaucoup travailler, June Assal et Paul-Eloi Forget.
Le spectacle verra le jour en mars-avril au Consulat Voltaire puis se jouera en mai à Ground Control et en septembre au Théâtre de Belleville.

Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur ce nouveau spectacle ?

J’avais envie d’écrire sur le numérique depuis plusieurs mois, j’ai commencé plusieurs travaux de recherches pour comprendre la manière dont le numérique devient un outil qui permet à une certaine logique économique de s’emparer de nos désirs.
J’ai poursuivi mes recherches vers des aspects plus neurologiques en lisant des livres comme Le Bug humain de Sébastien Bohler, en regardant des documentaires sur le sujet. Au fur et à mesure j’ai découvert toute une controverse sur la 5G qui soulignait surtout un manque de consultation et de prise en compte du grand public. Ce que le numérique révélait n’était pas simplement une logique du progrès mais aussi et surtout une logique de prise de décision, un problème démocratique. Je trouvais intéressant de pouvoir amener un tel sujet au théâtre, avec le public présent, ici et maintenant. À mon sens, ce format ne peut être que théâtral.
Le but de ce spectacle est d’amener le public à s’interroger sur la place qu’il occupe, ou plutôt qu’il n’occupe pas, dans le débat démocratique.

Selon vous, le théâtre a-t-il un rôle à jouer pour éveiller les consciences ? Est-ce qu’il y parvient ?

Je crois qu’un spectacle réussi soulève des problèmes mais n’offre pas de réponses, il nous divise mais il nous divise ensemble. C’est une chose que l’on pourrait difficilement transposer à l’écran ou à l’écrit. Au-delà de cette fonction, avec mon équipe, nous cherchons à créer des spectacles qui ne s’arrêtent pas à la salle. Sur L’Inversion de la courbe, nous avons mené des ateliers et récolté des témoignages de personnes précaires, offert des places chaque soir à des personnes en difficulté.
Pour Melone Blu, il y avait la possibilité d’aller dépenser son billet comme s’il valait de l’argent dans des commerces qui vendent local et bio. Puis le projet a financé la plantation de 3000 arbres en France et a été un prétexte fort pour réinventer totalement la manière dont nous produisons nos œuvres, pour les penser plus respectueuses.
Il faut rester modeste, je ne crois pas qu’une pièce de théâtre puisse bouleverser une vie du jour au lendemain ou pousser quelqu’un à prendre une décision radicale. Mais elle peut questionner, interroger, nous permettre de cheminer. C’est une force que d’offrir un pas de recul.

Quel avenir imaginez-vous pour le spectacle vivant suite à cette crise sanitaire ?

Je ne crois pas à une solution de résilience par le numérique. Je fais du spectacle vivant, je ne fais pas du spectacle mort. Mon format de spectacle met en avant l’interaction avec les publics, je ne dis pas que ce n’est pas possible par le numérique, mais ce n’est plus le même métier, c’est un autre rapport.
Peut-être qu’il y aura d’autres types d’œuvres qui émergeront aux travers du numérique mais il ne faut en aucun cas nous vendre que c’est une solution de remplacement, encore moins de résilience. L’avenir de la culture, s’il doit être résilient, c’est par un nouveau rapport au local, par un lien plus direct au public, par une simplicité d’abord. Je crois qu’il va nous falloir faire preuve d’humilité et de sobriété pour nous ré-inventer et je ne crois pas que le numérique s’inscrive dans cette logique. Être modeste peut être un grand projet pour la culture.

Propos recueillis par Zoé Lavanant et Zoé Selosse

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