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Invictus de Clint Eastwood

21 janvier 2010
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A presque 80 ans, Clint Eastwood est aujourd’hui l’un des réalisateurs les plus prolifiques d’Hollywood. A la fois devant et derrière la caméra dans Million Dollar Baby (2004), il emporte l’Oscar du meilleur film. En 2006, il réalise Mémoires de nos pères, hommage aux soldats américains qui ont posé pour la célèbre photo où la bannière étoilée flotte sur Iwo Jima. L’année suivante, Lettres d’Iwo Jima est le complément de ce premier film sur la Seconde guerre mondiale. En 2008, il offre un rôle magnifique à Angelina Jolie dans L’Echange, le combat d’une mère à qui l’on a enlevé son enfant. L’année suivante, il s’attaque au thème du racisme en racontant l’amitié d’un Américain bougon et d’une famille d’immigrés hmongs dans Gran Torino.


Dans Invictus, il retrouve plusieurs thèmes déjà explorés : le sport, avec Million Dollar Baby, le racisme, évoqué dans Gran Torino. Surtout, il s’empare d’une figure historique, symbole de la lutte contre les inégalités : Nelson Mandela, président de la République d’Afrique du Sud de 1994 à 1999. Clint Eastwood en fait le héros magnifique d’un film à la gloire de la paix et de la fraternité au travers d’une compétition sportive internationale – six mois avant la Coupe du monde de football dans le même pays, cela laisse rêveur…


L’histoire du film est celle de l’arrivée de Nelson Mandela (Morgan Freeman) à la présidence de la République d’Afrique du Sud en 1994. Malgré la fin de l’Apartheid, le pays est toujours divisé entre Blancs et Noirs, et la population blanche regarde d’un oeil méfiant le nouveau dirigeant, dont elle craint des représailles. Mandela prend le contre-pied de ce que tout le monde attend : il entreprend d’unir « la nation arc-en-ciel » autour du concept d’une nation une et unifiée. Pour ce faire, il profite de la tenue de la Coupe du monde de rugby de 1995 en Afrique du Sud. Encourageant les Noirs à supporter l’équipe des Springboks, pourtant symbole de la domination blanche, il tente de fédérer le peuple autour des performances de cette équipe en demandant au capitaine de l’équipe, François Pienaar (Matt Damon) de remporter la compétition. La tâche n’est pas aisée ; réinsérée dans le rugby international depuis 1992 seulement, l’équipe des Springboks est sportivement lamentable. Le pari est osé, la victoire en finale en est d’autant plus grande, alors que l’ensemble du pays salue le succès de la sélection sud-africaine.


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Contrairement à ce que les bandes-annonces auraient pu laisser penser, Invictus n’est pas un film sur le rugby. C’est l’histoire de Nelson Mandela et de la nation sud-africaine à l’occasion d’une compétition de rugby. Morgan Freeman est parfait dans son interprétation du Madiba. Mandela lui-même aurait dit à l’acteur qu’il était le seul capable de jouer ce rôle. On ne peut qu’approuver l’avis du grand homme après avoir vu le film. Freeman joue subtilement sur l’opposition entre force et faiblesse qui caractérise Mandela. Faiblesse d’un homme qui vient de passer vingt-sept ans derrière les barreaux à casser des pierres et dont la santé est fragile. Force d’un président à l’autorité incontestable, non parce qu’elle puise sa source dans la terreur, mais bien dans la légitimité de son pouvoir et surtout dans l’humilité et le courage avec lesquels Mandela assume sa charge. Freeman est un grand acteur et Eastwood lui offre une occasion en or de le prouver une nouvelle fois.


Face à lui, Matt Damon semble manquer de présence, et l’on a du mal à comprendre comment il parvient réellement à galvaniser son équipe pour en faire la meilleure du monde, le temps d’une compétition. Ne serait-ce parce qu’avec ses quelques centimètres de moins que Morgan Freeman, il n’a pas exactement la carrure d’un joueur de rugby pour être vraiment crédible. Les séquences de jeu sont répétitives, centrées chaque fois sur les mêmes actions, et c’est dommage. Heureusement, le talent de réalisateur de Clint Eastwood fait de la finale, filmée au plus près des joueurs, en immersion totale sur le terrain, un grand moment d’émotion où tout le monde supporte avec ferveur François Pienaar et ses coéquipiers.


Ce film est surtout une splendide réflexion sur les relations entre sport et politique, et le potentiel fédérateur que peut revêtir une compétition internationale, en particulier dans le contexte agité qui était celui de l’Afrique du Sud en 1995. Bien sûr, parce qu’il s’agit de cinéma, la réalité est retravaillée, embellie au profit de l’intensité dramatique. Mais au fond, l’art, c’est aussi ça : transformer la réalité pour en faire quelque chose de beau et d’émouvant. Le film se clôt par la victoire des Boks après un match d’une grande intensité (l’Afrique du Sud ne l’a emporté qu’après vingt minutes de prolongations et un drop salvateur lors d’une sortie de mêlée). Alors que Mandela quitte le stade dans sa voiture officielle, une foule arc-en-ciel célèbre la victoire dans les rues de Johannesburg. Un policier blanc porte un petit garçon noir sur ses épaules. Le garde du corps noir de Mandela serre la main de son collège blanc. La mère de Pienaar embrasse sa femme de ménage noire. Sur le thème de la réconciliation, Eastwood place son film sur le signe de l’optimisme, symbolisée par cette image célèbre : Mandela tendant la Coupe à Pienaar, au milieu d’un stade en délire.


On ressort de la salle en ressentant la même émotion que celle que l’on pourrait éprouver au stade lors de la victoire de son équipe. Eastwood nous rappelle une vérité parfois oubliée alors que le sport souffre d’une image altérée par les hooligans, le dopage et les scandales financiers : utilisé dans des buts louables, par des dirigeants et des sportifs qui comprennent les enjeux et le potentiel qu’il représente, le sport peut être un catalyseur irremplaçable pour créer un sentiment d’appartenance, de fierté de soi-même et de solidarité. Une belle leçon de cinéma pour illustrer une belle leçon d’espoir.


Audrey Chaix

 

 

Lire aussi sur Artistik Rezo Disgrace avec John Malkovitch.

 

 


Invictus
Un drame historique de Clint Eastwood
Avec Morgan Freeman, Matt Damon, Adjoa Andoh, Tony Kgoroge…


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Sortie le 13 janvier
Durée : 2h12


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