0 Shares 2050 Views

Face au Paradis – Théâtre Marigny

12 février 2010
2050 Vues
face_au_paradis_-_marigny Eric Cantona et Loránt Deutsch

face_au_paradis_-_marigny Eric Cantona et Loránt Deutsch ::

 

Deux hommes que tout sépare, qui ne se seraient jamais adressé la parole dans la vraie vie, se retrouvent dans une situation de huis clos qui les forcent à échanger ; et à se rendre compte qu’ils ne sont pas si différents que ça. Si Max (Eric Cantona) est comptable et Lubin (Lorànt Deutsch) pompiste, leurs aspirations, leurs rêves se rejoignent une fois disparues les dissemblances. Le fait que les deux hommes ne puissent se voir durant cet échange forcé se veut une tentative d’originalité, même si dramatiquement cela apporte peu à l’intrigue.

Théâtralement, cependant, l’intrigue a son importance. Car si Cantona et Deutsch jouent tous deux dans cette pièce, ils ne la jouent pas ensemble : à aucun moment ils n’interagissent de manière physique. Tout est dans les mots qu’ils se lancent l’un à l’autre de part et d’autre de la paroi. Et cela donne lieu à une situation dramaturgique très intéressante : chaque acteur peut développer son jeu de son côté sans être influencé par le jeu de l’autre – tout en ne pouvant pas ne pas le prendre en compte. Physiquement, ils sont chacun dans leur rôle sans que la présence de l’un influe sur celle de l’autre. Mais oralement, leurs jeux respectifs dépendent l’un de l’autre, parce qu’ils ne sont que deux sur scène, et qu’à aucun moment l’attention du spectateur ne les abandonne.

face au paradis marignyLa mise en scène et le décor y sont pour beaucoup dans cette situation théâtrale : c’est comme s’il existait deux espaces scéniques séparés par la paroi de béton, qui signifie aussi bien le mur entre les mondes des deux hommes que la menace constante. Toujours chancelante, cette paroi risque de s’effondrer d’un côté ou de l’autre de la scène à tout moment. A cela s’ajoute les néons qui grésillent, les pierres qui tombent du plafond dès que l’un des protagonistes remue un peu trop brusquement et la poussière qui enveloppe constamment le plateau ; ce décor apocalyptique donne ainsi au dialogue à l’aveugle des deux personnages une coloration à la limite du surnaturel.

En contrepoint à cette ambiance un peu fantastique, les dialogues sont profondément ancrés dans le quotidien, dans le réel de la routine. Chacun son travail, chacun son poste. Des anecdotes de boulot, des contes de la vie de tous les jours qui font sourire et même rire. Ces intervalles comiques permettent au spectateur de souffler alors que l’intensité dramatique de la pièce va grandissant. Le dosage entre tragique et comédie est savamment réalisé, ce qui sauve justement la pièce de la banalité.

Les performances d’acteur de Cantona et de Deutsch sont également un facteur clef de cette production. Malgré le handicap physique de son personnage, malgré son impuissance face au désastre, Cantona parvient à dégager une force tranquille mêlée de résignation, qui contraste avec l’agitation puérile du jeune garçon interprété par Lorànt Deutsch.

Cette opposition manichéenne entre la sagesse de l’homme mûr et l’excitation un peu naïve du jeune chien fou ne présente rien de nouveau : c’est l’interprétation des deux hommes qui sort le texte des poncifs et lui donne chair. Ne serait-ce que par leur jeu de scène : Cantona bouge très peu, allongé sur les décombres, ombre noire couchée sur scène comme si tout était déjà arrivé, qu’il ne restait qu’à attendre que tout s’achève enfin. De l’autre côté du mur, Deutsch bouge dans tous les sens, escalade les gravats, s’assoie dans un chariot de supermarché abandonné, se relève, se hausse sur la pointe des pieds pour tenter d’apercevoir son compagnon d’infortune… incarnation de la jeunesse qui refuse que tout soit joué.

Même si elle ne joue pas la carte de l’originalité dramatique, Face au Paradis est une pièce à voir pour plusieurs raisons : son décor de fin du monde inventif et travaillé, et le jeu des comédiens, qui se mettent en danger en acceptant de jouer ensemble en jouant séparément. C’est le résultat d’une belle complicité, et chaque soir, le spectateur revit la mise en place de cette amitié entre deux hommes pris au piège.

Audrey Chaix
Retrouvez cet article sur Culture’s Pub !

Face au Paradis

De Nathalie Saugeon

Mise en scène de Rachida Brakni
Assistante mise en scène : Annette Barthélémy

Avec Eric Cantona et Loránt Deutsch

Décor : Jean-Marc Stehlé // Costumes : Arielle Chanty-Stevenet
Lumières : Katell Djian // Musiques : Sylvain Jacques

Du 26 janvier au 8 mai 2010
Du mardi au samedi à 21h – matinée samedi à 17h

Prix des places : 45€, 35€ et 25€

Théâtre Marigny – salle Popesco
Carré Marigny, Paris 8e
M° Champs-Elysées Clémenceau ou Franklin Roosevelt 

www.theatremarigny.fr

[Visuel : © Pascal Victor]

Articles liés

“Les Paravents” à l’Odéon : sublimer les morts et les parias de la terre
Spectacle
481 vues

“Les Paravents” à l’Odéon : sublimer les morts et les parias de la terre

Dans un spectacle magnifique, Arthur Nauzyciel rend hommage à l’œuvre scandaleuse de Jean Genet, créée il y a soixante ans. Pour incarner quatre heures de performance intense qui nous fait voyager sur des montagnes russes, entre enfer et paradis,...

Après un beau succès en tournée et au Lepic, “Pour le meilleure et pour le dire” revient au Café de la Gare !
Agenda
842 vues

Après un beau succès en tournée et au Lepic, “Pour le meilleure et pour le dire” revient au Café de la Gare !

Après deux Festival d’Avignon en 2019 et 2021 et 50 dates de tournée et 3 mois au théâtre Lepic, “Pour le meilleur et pour le dire” revient au Café de la Gare à partir du 22 juin. Quand une...

“La Culotte” de Jean Anouilh, mis en scène par Émeline Bayart, à voir au Théâtre Montparnasse
Agenda
140 vues

“La Culotte” de Jean Anouilh, mis en scène par Émeline Bayart, à voir au Théâtre Montparnasse

Les femmes ont pris le pouvoir : elles souhaitent émasculer tous les hommes soupçonnés de phallocratie. Entre les cochons et les furies, les déviants ne sont pas toujours là où on les attend… Guerre des sexes terrifiante et cruellement...