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Guillaume Gallienne joue Lucrèce Borgia : une alchimie des couleurs qui prend

28 mai 2014
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Guilaume_Gallienne-Lucrece_Borgia-Comedie_Francaise

Lucrèce Borgia 

De Victor Hugo 

Mise en scène de Denis Podalydès  

Tarifs : de 13 à 41 €

Comédie-Française – Salle Richelieu 
Place Colette 
75001 Paris 
M° Palais Royal-Musée du Louvre 

www.comedie-francaise.fr

Mai 2014

Denis Podalydès évoque, à propos de Lucrèce Borgia, un océan de noirceur dans lequel une goutte de lait suffirait à elle seule à en faire changer toute la couleur. Un défi relevé haut la main par la palette d’artistes de la Comédie-Française et par Guillaume Gallienne qui campe un nouveau rôle féminin. Le drame de Victor Hugo résonne dans toutes ses couleurs, sa finesse et sa puissance lyrique, ses notes grotesques et ses touches sublimes.

« … et maintenant mêlez à cette difformité morale un sentiment pur, le sentiment maternel ; dans votre monstre mettez une mère, et le monstre fera pleurer… », pariait Victor Hugo dans sa préface.Lucrèce Borgia, dont le nom seul fait frémir toute l’Italie, se redécouvre. Incestueuse, meurtrière, fratricide, le monstre issu de la maudite famille de Ferrare vibre d’amour. Son fils caché, Gennaro, est venu réveiller l’âme humaine qui sommeillait au fond d’elle. Mais Lucrèce est prisonnière de son personnage. 

Vous l’aurez compris, jouer un tel personnage complexe, démesuré, aux multiples visages relève en soi de la gageure et nécessite une interprétation virtuose. Le caractère « imprévisible, extravagant, parfois abyssal » de Guillaume Gallienne, décrit par Denis Podalydès, se prêtait au rôle. Le comédien interprète magnifiquement cette femme insondable, gouffre noir et mouvant qui en un instant se dérobe au jour ou à la nuit. À travers ses différents masques, Lucrèce apparaît toujours plus vraie que nature, à tel point qu’entre l’illusion et la vérité, subtilement mises en abyme, les frontières s’effacent. Guillaume Gallienne rend cela magistralement. Sa maîtrise parfaite des enjeux du texte de Hugo et son jeu poignant et sincère suscitent une forte émotion où rire et larmes s’emmêlent. La scène géniale où Lucrèce tente de convaincre son époux Alphonse d’Este de gracier son fils constitue un sublime point d’orgue.

Un travestissement qui prend sens

Si le travestissement de Guillaume Gallienne fait couler beaucoup d’encre, cette technique, ancienne dans l’histoire du théâtre, se fait rapidement oublier. Le comédien se fond parfaitement dans son personnage pour laisser transparaître l’essentiel : une femme empêtrée dans un corps épais et lourd et dont l’allure maladroite exprime le désarroi d’une âme prisonnière. On imagine par ailleurs l’enjeu personnel que peut trouver Guillaume Gallienne à travers cette pièce. Car la vedette, dont on a découvert la biographie dans son récent film Les garçons et Guillaume à table !, fait de la lutte contre les carcans imposés par la société son cheval de bataille. 

En contrepoint, la légère et aérienne Suliane Brahim qui campe Gennaro fait tinter sa voix pure et claire dans l’obscurité. On reprochera cependant à cette jolie figure le manque de nuances, le peu d’évolution. Son jeu paraît un peu simple aux côtés de celui de Guillaume Gallienne. Dans le rôle de Gubetta, grimaçant, d’un comique irrésistible, Christian Hecq émaille le drame de touches grotesques. Il jouit d’une maîtrise technique parfaite tandis qu’Éric Ruf, qui incarne Alphonse d’Este, livre une performance d’une extrême finesse.

Le texte s’entend jusque dans ses moindres coins et recoins et trouve un juste écho parmi le public. « Ne riez pas ! », ordonne Lucrèce à son interlocuteur quand bien même c’est le public qui s’esclaffe… L’énergie et la fougue de la troupe, alliées à un suspense savamment nourri, tiennent en haleine les spectateurs. Les lumières et clairs-obscurs installent une ambiance inquiétante et subliment les personnages qui ressemblent à ces figures mythologiques peintes par Caravage. Certes, la mise en scène d’époque est classique, d’autant plus si on la compare à la précédente version de la pièce, avec Marina Hands. Mais le parti pris, assumé, est tout à fait respectable et se défend. Le drame romantique s’enracine dans l’Histoire, une de ses matières premières. La musique de Verdi rapproche le spectacle de l’opéra. Les décors somptueux, les costumes dessinés par Christian Lacroix, les compositions scéniques élaborées comme des tableaux vivants nous transportent dans la flamboyante Venise d’antan.

Pour tous les amateurs de Victor Hugo ou ceux qui souhaitent le découvrir…

Jeanne Rolland 

 [Visuel : Guillaume Gallienne dans Lucrèce Borgia à la Comédie-Française
 © Christophe Raynaud de Lage]

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