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Un “Dom Juan” sulfureux et maudit à l’Odéon

© Juliette Parisot

Projetant la pièce de Molière au XVIIIe siècle, sous la tutelle du Marquis de Sade, Macha Makeïeff fait de cet anti-héros un prédateur sulfureux et languissant, interprété avec brio par Xavier Gallais dans un décor unique. Une course à la séduction qui butte contre les obstacles de la morale et de la bienséance et qui constitue aujourd’hui avec #me too une mise à terre sans sursis d’un séducteur devenu prédateur sans foi ni loi.

Esprit de conquête

© Juliette Parisot

Dom Juan, ce séducteur invétéré qui savoure chaque conquête féminine pour mieux l’abandonner ensuite, chevauche à travers plusieurs espaces, vient d’échapper à un naufrage, se perd dans une forêt, réchappe plusieurs fois aux attaques des frères d’Elvire, ne cesse de fuir et de cavaler. Dans cette nouvelle mise en scène de Macha Makeïeff, Xavier Gallais a le cheveu long et gras, des cernes au visage, la mine fatiguée de ceux qui dorment peu et la démarche chaloupée des consommateurs de cocaïne. Prédateur plus que séducteur, mélancolique plus que brillant, il reçoit chez lui dans un palais aux murs défraîchis, aux portes qui claquent comme chez Feydeau, dans sa chambre où trône un lit aux draps carmin, protégé par un petit rideau gris. Macha Makeïeff, qui signe les décors et les costumes dont le détail et la finesse épatent, est accompagnée aux lumières par Jean Bellorini qui magnifie l’intimité claire-obscure de ce lieu de perdition.

Liaisons dangereuses

© Juliette Parisot

On est davantage chez Choderlos de Laclos, au XVIIIe siècle, ou chez le Marquis de Sade qu’au XVIIe classique de Molière. La comédie du pouvoir et le libertinage semblent acquis par tous, et l’on déboule dans ce palais du désir avec la certitude que l’on en sortira plus mauvais. Vincent Winterhalter campe un excellent Sganarelle, loin du cliché stupide dans lequel on a tendance parfois à l’enfermer. Droit dans ses bottes et censé, c’est le pompier appelé sans cesse à la rescousse qui tente de réparer tous les dégâts de son maître. Anthony Moudir Joaquim Fossi incarnent alternativement Gusman, Pierrot, Dom Carlos et Dom Alfonse les frères d’Elvire, avec cocasserie et piquant. Mais la scène des paysans, dans laquelle Charlotte et Pierrot se disputent au sujet de Dom Juan et de la trahison amoureuse ressentie par le jeune paysan, est expédiée de manière beaucoup trop rapide. Elle est drôle, mais ressemble à une caricature grotesque de théâtre de foire alors qu’elle devrait opposer socialement, avec beaucoup plus de cruauté et de netteté, les deux mondes, celui des paysans qui parlent en patois et celui du grand seigneur qu’est Dom Juan.

Personnages subsidiaires

© Juliette Parisot

Finalement, ce spectacle qui se joue dans une boite au décor resserré, obéit à une mise en abîme du théâtre dans lequel chacun remplit son rôle, quitte à en rajouter pour renforcer l’aspect comique des situations. Xaverine Lefebvre prête son corps de danseuse longiligne à Charlotte mais aussi au personnage du Commandeur de manière spectaculaire, transformant l’âme du châtiment céleste en une vengeance collective de toutes les femmes. Irina Solano est une Elvire imperturbable et digne, dans une robe de coton jaune brodé. Pascal Ternisien interprète parfaitement le pauvre Monsieur Dimanche ainsi que Dom Louis. Mais l’égoïsme de celui qui se rit de tout, ne respecte rien, renvoie ces êtres humains au rang de personnages subsidiaires. Le clavecin de Jeanne-Marie Lévy égrène ses mélodies baroques, une Mondaine se lève soudain. Mais Dom Juan est trop préoccupé de lui-même et de son propre plaisir pour réaliser que le monde tourne et souffre à ses côtés. Petit frère de Tartuffe qui professait l’hypocrisie comme règle de conduite, un an avant, Dom Juan est revenu de tout et n’a plus d’illusion dans ce huis-clos narcissique et désespéré.

Hélène Kuttner 

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