Voyage au bout de la nuit – Théâtre de l’Œuvre
Il en faut de l’audace et du métier pour s’attaquer et franchir les obstacles de la prose célinienne, cette écriture syncopée et lyrique, déstructurée à force de structure, anticonformiste et surtout démiurgique ! Fracassée comme un ressac sur un rocher, malmenée pour que le fond soit le parfait écho de la forme et inversement, la syntaxe de Céline relève de la gageure pour un comédien. Jouer ces hésitations qui ponctuent les phrases ou plutôt les bouts de phrases sans prêter le flanc à la diatribe selon laquelle le texte n’est pas su.
S’emparer d’un matériau avec du Céline n’est pas un vain dessein car il faut non seulement s’approprier le texte mais aussi l’auteur. Jamais ils n’ont autant fait un seul et même bloc qu’avec « Voyage… ». C’est une nécessité sous peine de faire vivre au spectateur un voyage au bout de l’ennui.
Jean-François Balmer, avec son physique passe partout et des années désormais de métier, peut tout jouer. Des notables aux cocus, des flics aux assassins. Souvent employé par Claude Chabrol au cinéma, celui qui fut un génial Charles Bovary, a toujours flirté avec les beaux textes, même si son parcours théâtral n’est pas non plus une anthologie des auteurs de Anouilh à Xénophon. D’un itinéraire où prime l’éclectisme à un des plus célèbres voyages du répertoire… De cette traversée que nous fait vivre Balmer, quatre étapes essentielles ont été retenues pour l’adaptation avec un format d’une heure et demi permettant de cerner l’ossature générale de l’œuvre. Du « machin » ainsi que défini par Céline dans la lettre accompagnant son manuscrit à la NRF. Un machin pas ennuyeux, ajoutait-il et « assez voisin de ce qu’on obtient ou devrait obtenir avec de la musique ».
Composante essentielle de la prose célinenne, cette musicalité envahit la scène du théâtre de l’Œuvre. Jean-François Balmer s’en empare en sachant parfaitement s’en faire le modeste passeur, laissant les mots le traverser. Loin des déclamations emphatiques de certains de ses prédécesseurs avec ce même texte, il insuffle ce réalisme que l’absurde rend grandiose et cette drôlerie désabusée qui tient lieu de rempart contre la capitulation. Dans ce décor épuré à l’extrême, vêtu de gris et de grisaille que soulignent des éclairages aussi contrastés que l’âme de Bardamu, Balmer se mesure à cette légende du siècle dernier, la grandit encore, charriant avec maestria toute la quintessence de ce métier qu’il possède à la perfection.
Franck Bortelle
Voyage au bout de la nuit
D’après l’œuvre de Louis-Ferdinand Céline
Mise en scène et scénographie de Françoise Petit
Avec Jean-François Balmer
Adaptation : Nicolas Massadau // Images : Tristan Sebenne
Lumières : Nathalie Brun // Son : Thibault Hédoin
A partir du 6 décembre 2012
Du mardi au samedi à 21h
Le samedi à 17h
Le dimanche à 16h
Durée : 1h30
Théâtre de l’Oeuvre
55, rue de Clichy
75009 Paris
M° Place de Clichy
[Photo : LOT]
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