0 Shares 6293 Views

Frida Kahlo, portrait d’une icône moderne (2/2)

2 juillet 2015
6293 Vues
Frida_Kahlo

Frida Kahlo, portrait d’une icône moderne (2/2)

Son engagement sans frontière pour l’art, le communisme et la vie…

 lire la première partie du portrait

Son entrée en art se fait par la petite porte. Juste après son accident, elle doit garder le lit pendant 3 mois et pour tromper l’ennui, elle commence à peindre grâce à la boîte de couleurs que son père lui a offerte. Sa mère lui confectionne un chevalet adapté qu’elle peut poser sur son lit. Elle peint ses proches, mais aussi et surtout elle-même, sujet privilégié qu’elle peut décortiquer grâce au miroir que sa mère a installé sur son lit à baldaquin. Ce sera sa matière première.

Autodidacte, elle n’en est pas moins nourrie par la culture européenne de son père, un Allemand qui a quitté l’ancien continent pour une nouvelle vie. Il est allé jusqu’à abandonner son prénom de Wilhelm pour celui de Guillermo, mais a emporté dans sa bibliothèque Bergson, Proust, Zola, des ouvrages sur Cranach, Dürer, Botticelli, Bronzino… qu’il partage avec Frida. Un an après son accident, elle peint son Autoportrait à la robe de velours, où s’affirme déjà son propre style et où transparaît l’influence de l’Autoportrait à la fourrure de Dürer. L’art devient pour elle un refuge, un moyen d’exprimer sa souffrance physique (« Ma peinture porte en elle le message de la douleur » écrira-t-elle), ses traumatismes (entre avortements et fausses couches) et sa relation complexe avec Diego : un véritable journal intime en images, sans concession. Elle va jusqu’à darder de véritables coups de couteau le cadre du tableau Quelques petits coups de pique, tant sa colère est grande contre l’infidèle Diego. Elle se représente tantôt fière et séductrice (Autoportrait dédié à Léon Trotski, Fulang Chang et moi), tantôt déchirée et anéantie (L’Hôpital Henry Ford, La Colonne brisée), mais constamment elle revendique sa « mexicanité ».

La révolution mexicaine (1910-1917) a en effet redonné une place cruciale à la culture populaire, aux racines précolombiennes, ancrant le pays dans une histoire héroïque, ce qu’avait banni le vieux dictateur Porfirio Díaz. Ce basculement est fondamental pour Frida Kahlo, qui troquera sa date de naissance de 1907 contre celle de 1910. L’avènement du président Álvaro Obregón est synonyme de l’ébauche d’une conscience nationale, de la réappropriation des terres et de l’industrie qui était jusque-là aux mains des Nord-Américains et des Européens. Le ministre de l’Education, José Vasconcelos, promeut l’art des muralistes qui sont les porteurs des nouveaux messages politiques dans un pays où domine l’analphabétisme. Frida Kahlo ne cède cependant pas à la monumentalité des « Tres Grandes » (Rivera, Orozco et Siqueiros). Elle partage leur engagement politique, mais elle s’exprime sur des petits formats, rappelant les retablos, ces ex-voto peints sur des plaques de métal déposés dans les églises, invoquant une guérison. Son style et les couleurs vives sont dans la droite ligne de ces créations populaires naïves. Toute la culture mexicaine retentit dans ses œuvres : les animaux, la végétation luxuriante, les fruits des natures mortes, la place de la mort, les objets précolombiens…

L’engagement politique est indissociable de son engament artistique, elle s’affirme comme « une artisane » et une « alliée inconditionnelle du mouvement révolutionnaire communiste ». Elle est de toutes les manifestations avec Diego Rivera – qui est un temps secrétaire général du Parti Communiste Mexicain -, parfois un peu trop dans l’ombre de ce géant. Mais la consécration arrive : le galeriste Julien Levy l’expose en 1938, un véritable succès commercial qui entraîne des commandes : Suicide de Dorothy Hale (1939) pour Clare Boothe Luce, rédactrice en chef de Vanity Fair, et Autoportrait au singe (1940) pour l’industriel Conger Goodyear. L’histoire a déjà tranché, célébrant l’avènement d’une artiste à la destinée tragique et d’un couple mythique, ayant donné un nouveau langage à la culture métissée du Mexique.

Stéphanie Pioda



Articles liés

Mademoiselle Serge revient pour guérir avec le rire, ou “Gai-Rire 2.0” à La Nouvelle Seine
Agenda
13 vues

Mademoiselle Serge revient pour guérir avec le rire, ou “Gai-Rire 2.0” à La Nouvelle Seine

“Mademoiselle Serge est un petit bonbon des Vosges piquant et acidulé, comme son humour. Elle n’a pas toujours été parfaite, ni même écolo, encore moins poète, jusqu’au jour où elle a décidé de monter sur scène. De l’urgence écologique...

Le Ju Percussion Group fait des sauts entre traditions asiatiques à la Salle Gaveau ce 22 juin
Agenda
35 vues

Le Ju Percussion Group fait des sauts entre traditions asiatiques à la Salle Gaveau ce 22 juin

Le Ju Percussion Group (JPG) est un ensemble musical fondé à Taiwan par le percussionniste Ju Tzong-Ching en 1986. Il est composé de 21 percussionnistes talentueux et d’un compositeur en résidence. Le groupe se consacre aux concerts, à l’éducation...

Entre drag, burlesque, et cirque : le “Mad Cirkus” de Bertha’s Fantasia revient !
Agenda
68 vues

Entre drag, burlesque, et cirque : le “Mad Cirkus” de Bertha’s Fantasia revient !

Après plus de trois ans d’absence, la Big Bertha revient à Paris avec sa soirée iconique “Bertha’s Fantasia”. Dans son tout nouvel écrin à La Machine du Moulin Rouge, cette édition, “Mad Cirkus” réunira les meilleurs performers européens soigneusement...