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Entretien avec Nicolas Laugero Lasserre

10 avril 2013
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Nicolas Laugero Lasserre

Pourquoi avoir choisi de collectionner des œuvres de street art, qu’est-ce que qui vous a stimulé ?

Cela s’est fait naturellement. Lorsque je suis arrivé à Paris en 1996, c’est par les murs peints de Jérôme Mesnager, de Jef Aérosol que je découvre l’art, que je remonte l’histoire à l’envers et cela me fascine. C’est un art accessible à tous. La première œuvre que j’achète est un pochoir de Miss.Tic à 300 euros (il en vaudrait 2.000 aujourd’hui). Ce qui m’intéresse également dans ce mouvement, c’est le regard que ces artistes posent sur le monde, leur pertinence, leur message. La plupart sont des militants, Shepard Fairey (Obey) est anti-capitaliste, antimilitariste, JR s’immisce dans une ville et parle des problèmes des habitants. Récemment au Japon, il montrait les rescapés de Fukushima. Il a aussi travaillé sur le mur de séparation entre Israël et la Palestine. Il cherche à décloisonner les mondes, par exemple en prenant à ses débuts des photographies de jeunes des banlieues dans des postures caricaturales qu’il colle sur les murs de Neuilly et inversement, des photographies de jeunes de Neuilly qu’il placardait sur les murs des banlieues…

Il y a un engagement politique plus affirmé chez ces artistes ?

Il n’y a pas forcément un engagement, mais ils décrivent souvent les mutations du monde et ils sont là pour nous éclairer, nous réveiller. Je pense notamment à Rero qui travaille sur le passage du mondé réel au monde numérique. J’ai une pièce qui est très forte, avec un livre coulé dans la résine et un .jpg posé dessus. Lorsque j’ai fait une visite de ma collection, des jeunes ont très vite compris et l’un d’entre eux m’a dit : « Monsieur, Monsieur le jpg a pris la place du livre ! » Oui, on ouvre tous les jours un document pdf et beaucoup moins de livres.
Banksy de son côté critique de manière acerbe le marché de l’art depuis 15 ans. Il a commencé par nous dire, vous voyez, un graffeur comme moi, un « vandale » que personne ne connaît, je vais être capable d’attaquer votre système en créant une cote invraisemblable à mes œuvres. Avec le film, Faites le mur ! (2010), il va faire de Thierry Guetta, alias Mr Brainwash l’un des artistes les plus côtés en 2010 ! Fan des street artistes, il les suit, les filme, mais n’a aucun talent particulier. Ses tableaux sont montés jusqu’à 100’000 euros ! Banksy nous a prouvé une deuxième fois à quel point le marché est manipulé. Il critique la société, l’omniprésence de la surveillance… C’est un anarchiste à la base.

Que pensez-vous de l’hystérie qui tourne autour de Banksy, ses créations sont arrachées du mur pour être vendues aux enchères, revendiquées par les habitants du quartier où le pochoir était protégé par un plexiglas dans la rue ?

C’est formidable que les gens y soient attachés ! Mais dans son cas, c’est un microphénomène qui amène des excès limités par rapport aux milliers de mètres carrés de murs dans le monde. Ce qu’il faut retenir c’est l’engouement incroyable du public, c’est cela qui me fascine.

Et cette spéculation qui va à l’encontre de l’esprit même de Banksy ?

Mais cela ne touche pas le grand public qui profite de l’art accessible dans la rue, il faut rester positif. Ensuite, on peut parler du marché, mais c’est un autre discours qui concerne un microcosme. Les artistes ont toujours la possibilité de travailler dans la rue comme les 13 murs des offices HLM dans le 13e arrondissement parisien. Tout cela reste gratuit. Même les deux premiers mondiaux, Banksy et Shepard Fairey font des pièces pour le marché et continuent de faire des murs. Pour vivre de leur art, la plupart ont trouvé un moyen de décliner leurs travaux sur le marché, sans pour autant perdre leur âme ! Invader crée pour chaque œuvre de rue un alias, c’est-à-dire un double pour le marché qui a une pièce d’identité, un certificat d’authenticité avec la photo de rue. Roa, qui travaille sur les murs dans le monde entier – c’est vrai que la particularité de ces artistes est qu’ils voyagent beaucoup –, développe un bestiaire avec des objets de récupération, crée des pièces qui se manipulent façon cabinet de curiosité. JR propose lui des photographies qui sont des témoignages de ses installations in situ, qui pérennisent une œuvre à durée de vie limitée dans la rue. Blu, l’Italien, fait des vidéos extraordinaires où l’on voit la peinture qui mange le mur. Il ne fait pas de pièces originales, il s’y refuse. Il ne vit que grâce à ses sérigraphies qui pour certaines sont éditées à 20 exemplaires à 1.000 euros et d’autres à 100 exemplaires à 100 euros. Il est possible de trouver accidentellement des œuvres originales, des petits dessins à 5’000 euros, mais c’est rarissime.
C’est la même chose pour les historiques, je pense à Jeff Aérosol, Jérôme Mesnager, Speedy Graphito

Dans ce contexte d’un art de rue, n’a-t-on pas envie de faire des interventions in situ en tant que collectionneur, chez soi ?

Oui mais il faut pour cela être propriétaire !!! Je pense à Jacques-Antoine Granjon de venteprivee.com, à Pierre Kosciusko-Morizet de PriceMinister, ces deux partons sont passionnés d’art urbain, Laurence Parisot aussi. Leurs locaux sont parfois investis de grandes réalisations, je n’ai pas cette structure-là. J’ai des œuvres qui bougent avec moi. Je raconte que mes œuvres ne sont pas dans mon appartement, mais que c’est mon appartement qui est dans mes œuvres ! J’ai vendu mon appartement il y a 2 ans pour continuer à développer ma collection. Mon patrimoine est là ! Si je me sépare d’une des pièces, elles ont été vues par au moins 40’000 visiteurs, cela confèrera un caractère particulier, un pedigree qui sera un jour intéressant pour une revente, mais ce n’est pas le but premier, c’est la cerise sur le gâteau, il faut aussi prendre conscience du risque que cela représente…

C’est une passion, mais il y a une idée d’investissement à long terme lorsqu’on prend une telle décision ?

La collection c’est une forme de maladie, une véritable pathologie. On pourrait faire un parallèle avec Le joueur de Dostoïevski. Lorsque l’on commence à y investir beaucoup, il est évident que le marché compte et je reconnais que je deviens plus exigeant.
Il y a une mondialisation et certains artistes ont une audience plus forte à l’étranger que dans leur propre pays. Shepard Fairey par exemple, leader mondial, a un marché près de 2 fois plus important en terme de records de prix en France qu’aux États-Unis. Tous les records sont battus chaque année chez Artcurial. Pour une fois en France, nous avons un mouvement sur lequel nous sommes leader parce que nos artistes rayonnent dans le monde entier. Invader, qui est un des pionniers, est représenté à Londres par la galerie Lazarides, à Bruxelles par la galerie Alice, à New York par la galerie Jonathan Levine et à Paris par Franck Le Feuvre. Idem pour Miss Van qui a une galerie dans chaque pays, JR chez Perrotin est représenté dans les grandes foires internationales et à un atelier à Paris et à New York. Speedy Graphito a une galerie également à Los Angeles maintenant… Il y a là un mouvement mondial qui s’opère, quelque chose de très fort qui s’inscrit dans le marché de l’art et dans l’histoire de l’art. On pourrait trouver des origines à ce mouvement en remontant à Basquiat et même aux Nouveaux Réalistes avec Rotella, Raymond Hains… Le marché se construit avec des valeurs importantes pour les leaders de chaque pays, Vhils au Portugal, Inti au Chili, Os Gemeos au Brésil, Banksy à Londres, Roa en Belgique et en France, on les a déjà cités.

Quels sont les lieux privilégiés pour acheter du street art ?

Il y a 50 galeries à Paris qui vendent du street art ! Soit 10% sur les 500 galeries installées. Il y a 10 ventes aux enchères dédiées, la pionnière est Artcurial qui s’est lancée il y a 6 ans avec Arnaud Oliveux, et toutes les autres suivent, Cornette de Saint-Cyr, Piasa qui s’est bien positionné, Tajan, Leclere à Marseille, Millon, Pierre Bergé…
En France, il y a à la fois toute la palette d’artiste et le rayonnement international, et cocorico, pour nous qui achetons ces artistes, ils ont une valeur, un marché mondial, ce qui n’est le cas pour quasiment aucun de nos artistes contemporains (ou presque !).
Ce qui est intéressant dans ce mouvement c’est la gamme des prix large : la porte d’entrée peut être la sérigraphie, avec Shepard Fairey on démarre à 30-40 dollars sur son site avec des sérigraphies éditées à 400 exemplaires, à côté de prix soutenus pour des originaux à 35’000 euros. La plupart de ces artistes veulent garder des prix accessibles. Je dis bravo !

Les artistes que vous collectionnez sont rattachés essentiellement du street art, vous n’avez pas de graffiti. Pourquoi ?

Oui, je suis l’opposé de Gallizia. Je me situe plus dans le street art, dans une représentation plus figurative de ce mouvement, et aussi avec des artistes qui sont de véritables « artistes » au départ : la plupart ont fait les Beaux-Arts, Shepard Fairey a fait une école de graphisme, Dran a les Beaux-Arts de Toulouse, Speedy l’École d’art Estienne…

Ce qui me caractérise en fait, c’est de porter mon écurie d’artistes et ma collection en l’exposant. Il y a beaucoup de collections plus importantes en terme de volume et de marché, mais en revanche, avec les moyens qui sont les miens, j’ai vraiment créé une collection itinérante. La prochaine présentation sera au Grand Théâtre d’Angers, un an après l’exposition qui a fait date, avec plus de 10’000 visiteurs, un chiffre record pour le lieu. La ville d’Angers a voulu réitérer l’expérience pour cinq mois au lieu d’un mois et demi dans cet espace de 600 m² en plein centre, mais comme j’avais déjà montré beaucoup de choses, je présenterais une quinzaine de nouvelles pièces (Shepard Fairey, Rero, Roa, Dran…) et deux autres collectionneurs complèteront la sélection. En 2014, ce sera en Belgique. Il faut savoir que je serais ravi de prêter mes œuvres à tout lieu qui serait prêt à les accueillir, il suffit de prendre en charge les transports et les assurances. Je souhaite que cette collection puisse circuler et toucher le plus de monde. Ma première démarche c’est une démarche de passionné !

Paris, le 8 avril 2013, Art Media Agency (AMA)

[Photo de Nicolas Laugero Lasserre : Vanessa Humphries]

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