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L’Ecume des jours – Théâtre de Belleville

20 décembre 2011
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L'Ecume des jours - Théâtre de Belleville

La pièce témoigne d’une fraîcheur créative : de la mise en scène au jeu de cette jeune compagnie de La Bouée, et la proposition amuse. Pourtant, mi-figue, mi-raisin, entre rire et déroute, une pointe de maîtrise manque à l’appel de ce peloton de bonne humeur.

Ce pourrait être un village, ce pourrait être St-Germain-des-près, un lieu où rien n’arrive, où tout le monde est beau-gentil. Et puis non, car si la vie s’écoule lentement dans une sorte de maison en sucre, le refuge d’Hansel et Gretel est un piège. Attirant et sécurisant, il est pourtant rongé par un mal mortel, la vie déjà, sans doute. Ainsi Colin, fortuné et gentil, veut tomber amoureux comme son ami Chick l’est d’Elise. Les choses étant simples et bien faites, il fait la rencontre de la belle Chloé. Il l’épouse et l’on nagerait en plein conte de fée, mais les nuages s’assombrissent. Chick est égoïste et dilapide l’argent offert par Colin pour épouser Elise, dans sa collection sur Jean-Sol Partre. Quant à Chloé, la féérie tourne vite au cauchemar car au lendemain de ses noces, elle attrape un nénuphar au poumon et dès lors la belle maison s’assombrit d’une étrange manière et les pièces rétrécissent comme l’espoir de bonheur des jeunes amants. En marge, il y a Nicolas, le cuisiner loufoque, hautain comme grivois, qui se délecte de relations charnelles et accompagne ironiquement Colin dans ses malheureuses aventures.

L’Ecume des jours est d’une autre veine que ces remake de romans américains à la Henry Miller que Boris Vian signaient sous le pseudonyme de Vernon Sullivan, comme J’irai cracher sur vos tombes (1946). La pièce est tirée de la récente adaptation théâtrale de Judith Davis, très fidèle au texte original où règne la fantaisie d’un membre du Collège de Pataphysique ; disciple d’Alfred Jarry, Vian est nommé par cet établissement de l’absurde et des solutions imaginaires : « Equarisseur de première classe » ou “Satrape et Promoteur insigne de l’ordre de la grande Gidouille ». L’avant-propos témoigne encore d’une affinité surréaliste : « (…) l’histoire est entièrement vraie, puisque je l’ai imaginée d’un bout à l’autre. » Vian refuse l’esclavage du travail, il fait évoluer ses personnages dans un univers enfantin où l’on saute à pieds joints au-dessus de certaines explications ou développements attendus ; de Colin, par exemple, quasi rien d’autre qu’un laconique : « Il était presque toujours de bonne humeur, le reste du temps, il dormait. » Taquinant ainsi les préceptes de la raison, pullulent les solutions et les inventions pittoresques : on pratique la pêche à l’anguille dans un lavabo à l’aide d’une pâte dentifrice à l’ananas, on prépare les apéritifs au pianocktail et lorsque le mal étreint le jeune corps de Chloé, les pièces de la maison rétrécissent.

Défi que l’adaptation d’un tel récit mais de l’audace, Béatrice de La Boulaye n’en manque pas. Elle choisit une équipe fraîche de comédiens à la physionomie bonhomme. Fins interprètes de la candeur, ils en déclinent la fragile palette dans un charme ravissant. Ils promènent une insouciance de grands gamins sur des cubes colorés flashy, à la manière de jeux d’éveil ou d’une cours de récré’ imaginaire. Et ça fonctionne car on se prend aisément à imaginer la cuisine, la voiture, un merveilleux château… Les costumes des bambins procèdent du même choix bienheureux : exubérants, rigides, on les croirait en carton-pâte et les comédiens les agrafent simplement au dos pour revêtir un personnage ou s’en défaire. La rupture de style et le non-conformisme du récit sont révélés par une exhibition bienvenue des ficelles du théâtre. Pourtant, malgré un alignement de très bons points, ces choix astucieux de mise en scène exigent une sobriété de jeu, un calibrage parfait voire une exigence dans leur exécution qui font défaut.

Une rigueur formelle manque à cette adaptation. Il reste que rendant hommage à l’éternelle adolescence de l’auteur, au charme et à la grâce de cet âge, l’interprétation de Béatrice de La Boulaye honore le 50ème anniversaire de la disparition de Boris Vian d’une proposition neuve et d’une surprise totale.

Gaëlle Le Scouarnec

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L’Ecume des jours


D’après Boris Vian

Mise en scène de Béatrice de La Boulaye
Adaptation de Judith Davis (lauréate du prix CNT 2008 pour l’adaptation de L’Ecume des Jours)

Avec Blandine Bury, Hubert Delattre, Cindy Doutres, Romain Vissol, Nicolas Guillot et Marie Hennerez

Piano & bruitage : Pierre Gascoin
Le Collectif La Bouée – Ile de Ré

Jusqu’au au samedi 31 décembre 2011
Du mardi au samedi à 21h
Le dimanche à 18h

Plein tarif : 28€ // Tarif réduit : 18€ // Moins de 26 ans : 10€
Réservations : 01.48.06.72.34

Théâtre de Belleville
94, rue du Faubourg du Temple 
75011 Paris

www.theatredebelleville.com

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