L’Enlèvement au sérail, une mise en scène féérique

Zabou Breitman signe une mise en scène féérique de cet opéra de Mozart qui n’avait pas été présenté à l’Opéra de Paris depuis trente ans. Amour et réconciliation sur fond de cartes postales des années 20.

Quelle bonne idée d’avoir proposé à Zabou Breitman une mise en scène d’opéra ! L’Enlèvement au sérail, que Wolfgang Amadeus composa à 25 ans, lui va comme un gant. Cette œuvre composée alors que Mozart était à Vienne vaudra au compositeur la remarque désobligeante de l’empereur Joseph II : “Trop de notes, mon cher Mozart !” À quoi Mozart répondit : “Sire, pas une note de trop !”

En effet, parmi la nuée de notes qui fait de cette œuvre une partition enchanteresse et où culminent les difficultés pour les chanteurs, notamment avec le fabuleux quatuor à la fin du deuxième acte d’une durée de quinze minutes, Mozart introduit pour la première fois le “Singspiel” qui alterne des parties chantées et parlées dans l’œuvre. Pour la première fois, il y a même un rôle entièrement parlé pour un acteur, celui du Pacha.

Intelligent aussi le choix du chef d’orchestre, Philippe Jordan, de présenter l’opéra dans son intégralité, alors que jusqu’à présent il était amputé de certains passages. On entend enfin la célèbre musique “à la turque” du chœur des janissaires annonçant l’arrivée du Pacha redoutable et rendu gentiment ridicule par le compositeur, alors qu’en 1782 l’Empire ottoman menaçait l’Empire viennois.

Zabou présente cette histoire d’enlèvement de trois Européens en Turquie avec le charme romanesque et la douceur du cinéma des années 20, sensuel, élégant, avec des héros masculins vaillants et des femmes en pleine libération. Costumes de ville, sarouels soyeux aux couleurs franches (Arielle Chanty) qui alanguissent les formes des corps féminins, dont les deux danseuses du ventre qui donnent du piquant au spectacle. La scénographie colle à l’Orient et emprunte ses couleurs chaudes au Delacroix des toiles marocaines, escaliers et portails aux arabesques boisées, teintures bleutées et végétation gracieuse, le tout signé du grand décorateur Jean-Marc Stehlé dans des lumières d’André Diot.

Dans cette première série de représentations, l’Américaine Erin Morley (Konstanze) fait sensation avec des suraigus somptueusement mélodieux, une musicalité précise et sans faille, un souffle étonnant pour une partition particulièrement virtuose. À ses côtés, Anna Prohaska ne dépareille pas dans le rôle de Blonde en suffragette anglaise déterminée, drôle et effrontée. Bernard Richter campe de sa belle prestance de ténor et avec beaucoup de naturel le personnage de Belmonte avec Paul Schweinester, peut-être un peu plus faible vocalement mais d’une malice formidablement enjouée. Lars Woldt, qui chante Osmin, le second du Pacha, nous envoûte de sa corpulence et de sa voix de basse.

Un spectacle heureux, drôle, léger et grave. Fidèle à Mozart en quelque sorte.

Hélène Kuttner

[Photos : Agathe Poupeney]