La Demande d’emploi, une brûlante actualité
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La Demande d’emploi De Michel Vinaver Mise en scène de Gilles David Avec la troupe de la Comédie-Française : Alain Lenglet, Clotilde de Bayser, Louis Arene, Anna Cervinka Jusqu’au 3 juillet 2016 Du mercredi au dimanche à 18h30 Tarifs : de 9 à 20 € Réservation en ligne Durée : 1h20 Studio Théâtre M° Palais Royal – Musée du Louvre |
Jusqu’au 3 juillet 2016
Lorsque le discours et le jargon de l’entreprise sont devenus les outils d’un jeu pervers. Lorsque les frontières entre le monde de l’entreprise et de la famille sont abolies. Michel Vinaver dresse un tableau effrayant de notre société. La Demande d’emploi, écrite en 1971, n’a pas pris une ride. Rien ne va plus pour Fage, un cadre supérieur quinquagénaire très propre sur lui et fier de ses performances. Celui-ci est licencié de l’entreprise dans laquelle il travaillait depuis plus de vingt ans. Le père de famille apprend dans un même temps que sa fille, adolescente, entraînée dans le tourbillon de la révolution sexuelle, est tombée enceinte d’un de ses camarades de classe, un petit dealer. Il faut la convaincre d’avorter. Pris en tenailles entre deux crises parallèles, comment Fage, ce “héros” contemporain, surmontera-t-il ces épreuves ? Sa femme, au foyer, croit en lui. Mais Wallace, jeune loup, chasseur de têtes d’une entreprise “innovante” et “dynamique” qui lui fait passer un entretien d’embauche, le pousse jusque dans ses retranchements, le triture et torture à coups de tests psychologiques qui se retournent inévitablement contre lui et de questions intrusives. Sa fille et sa femme n’ont plus de secrets pour le jeune cadre qui a tôt fait de s’infiltrer dans les moindres failles. La façade de Fage, sa confiance, son assurance, se craquellent peu à peu. Le père de famille a beau clamer qu’il ne se “considère pas comme une marchandise”, il déplore : “J’ai mis 25 ans pour devenir un déchet.” Comédie du discours
Envahissement
Le rythme, la mise en espace, le casting sont étudiés et pertinents dans une mise en scène épurée, nette, réglée au cordeau. Une mise en scène un peu trop lisse et parfaite peut-être ? Car les comédiens peinent à se dévoiler et la pièce ne décolle pas vraiment, installée dans un même rythme. Cependant, ce spectacle mérite d’être vu, notamment pour le regard pertinent que Vinaver livre sur le monde de l’entreprise et la société de consommation actuelle. Écrite en 1971, mis à part les problèmes relatifs à l’avortement en France, cette pièce n’a pas pris une ride. En tant que P.D.G. de Gillette, Vinaver n’était pas trop mal placé… Jeanne Rolland [Visuels © Comédie-Française] |
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“Plus-value”, “profit”, “performance”, “adaptabilité” composent une ritournelle infernale. Dans une société où le jeunisme et la performance dictent leurs lois, comment Fage peut-il encore croire en sa chance ? Un jargon d’entreprise, d’autant plus absurde que Wallace, manipulateur cynique, avoue tester la capacité de son candidat à mentir. Mais Fage rentre avec peine dans ce petit jeu et c’est bien là son seul tort.
Les dialogues et les actions enchevêtrés et simultanés entre mère et fille, le père et Wallace, dénoncent l’abolissement des frontières entre cellule familiale et sphère professionnelle, qu’elles soient spatiales ou temporelles. Les discours sans ponctuations fluides s’infiltrent comme de l’eau et envahissent le plateau jusqu’à en noyer le héros pris en tenailles, auquel nulle échappatoire ne s’offre. Et lorsque la fille explique à son père qu’elle pourrait bien garder son enfant juste “pour un an”, on s’esclaffe ; les êtres humains se considèrent bel et bien comme des marchandises jetables-interchangeables. Jusqu’au noyau de la famille même, à quel point la société de consommation a-t-elle contaminé les esprits ?



