Soudain l’été dernier, un petit miracle théâtral
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Soudain l’été dernier De Tennessee William Metteur en scène et scénographe Stéphane Braunschweig Avec Jean-Baptiste Anoumon, Océane Cairaty, Virginie Colemyn, Boutaïna El Fekkak, Glenn Marausse, Luce Mouchel, Marie Rémond Jusqu’au 14 avril 2017 Du mardi au samedi à 20h Tarif de 6 à 40 euros Réservations par tél au Durée 1h35 Théâtre de l’Odéon |
Jusqu’au 14 avril 2017
Le metteur en scène Stéphane Braunschweig a placé intensément la pièce de Tennessee Williams sous la lumière du texte et de la direction des acteurs. Pour interpréter le personnage principal, Catherine jeune femme considérée comme folle, il a choisi l’immense actrice Marie Rémond qui s’impose dans les arcanes les plus profondes des spectateurs suspendus à son récit halluciné. Stéphane Braunschweig, après son travail notamment sur Ibsen et Pirandello, s’avère une fois de plus un des plus subtils metteurs en scène des pièces dont la matière première est un événement psychique. Même pour ceux qui auraient en tête le film qu’en avait tiré Mankiewicz,le renouvellement opère et la pièce captive. Le metteur en scène laisse toute la place aux longs bavardages de la famille qui se déchire et parvient à nous les rendre audibles et fascinants. Il s’empare de ce flot de paroles avec toute la considération nécessaire, en respectant son épaisseur et sa longueur, car c’est bel et bien là l’élément central de la pièce qui aborde des zones mentales complexes proches de la folie.
Stéphane Braunschweig orchestre les déplacements en une palette des plus délicates. Avec un simple adossement contre le tronc d’un arbre, il sait lever un torrent de sensualité. Il permet au public de rentrer totalement dans cet univers où la faille côtoie la puissance et où les énigmes mentales s’enchevêtrent aux ordonnancements du monde social. Scénographe de la vie de la psyché, il libère les images, les fantasmes et la parole, et il sert admirablement la richesse intime de la pièce, miroir de l’intériorité de Tennesse Williams lui-même.
Emilie Darlier-Bournat [ Photos 1, 2,4 : © Élizabeth Carecchio // Photo 3 : © Thierry Lepagne] |
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Dans un jardin tropical qui envahit le plateau, Stéphane Braunschweig guide les acteurs et les hisse au plus près de ce tissage interne d’émotions, de refoulements, de souvenirs et de dénis.Telles les lianes souples des plantes touffues, chacun des protagonistes, que ce soit la mère, la tante ou le frère, entraine le public dans sa propre sphère psychique et l’invite lentement à s’enfoncer dans sa jungle mentale. D’entrée de jeu, on comprend que ce qui réunit cette famille est la mort de Sébastien, l’été dernier. Ce fils disparu, sans jamais apparaitre, hante le spectacle à travers les narrations des uns et des autres à son sujet. Poète, homosexuel, il réunissait de quoi déranger la société puritaine bourgeoise et ce n’est pas par hasard s’il a entrainé dans son sillage sa cousine Catherine. Celle-ci est jeune, belle, éprise de vérité, mais trop éloignée des schémas normatifs et surtout de condition trop modeste pour être prise au sérieux. Elle a donc été internée et elle est menacée d’un asile encore plus destructeur si elle persiste à parler de Sébastien comme elle le fait, car pour la faire taire, sa tante qui est riche est prête à donner beaucoup d’argent.
Mais avant cette tragique éventualité, son récit sera entendu. Et entendu, il le sera fortement par tous ceux qui l’entourent sur le plateau et inoubliablement par le public. Car Marie Rémond entrouvre un vertige. Brindille frêle et blanche, tremblante et forte, papillon de soie dans la nature luxuriante, irradiante à la fois de vulnérabilité et d’obstination, elle nous emporte dans son récit au nom de la vérité et elle ne lâche rien. Qu’on la croie ou non, elle raconte inlassablement. Tantôt assise dans le fauteuil en rotin, tantôt s’avançant en un titubement inquiétant et gracile, elle va se glisser jusqu’à couper le souffle dans chaque recoin de cette histoire que les autres préféreraient considérer comme un délire.
Sans aucun doute, la faconde de Soudain l’été dernier, aussi dense qu’elle soit, exigeait un regard et une perception pointus.Le public d’aujourd’hui pour une grande part connait déjà l’adaptation au cinéma et les avancées de la psychanalyse lui ont donné des clés supplémentaires.Pour retrouver pleinement la source de ce déploiement et sa magie, il fallait une comédienne hors pair. C’est réussi. Quand Marie Rémond se retire à l’instant final entre le médecin et la religieuse tandis que s’efface le jardin, on se dit que Stéphane Braunschweig, laissant sur le bas-côté science et religion, a permis avec cette équipe de qualité un petit miracle théâtral. 



