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A l’Opéra Garnier, la danse joue à jouer

Thomas Hahn 8 décembre 2017
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Opéra National de Paris - Alexander Ekman-Play © Ann Ray

C’est un spectacle à soixante mille balles! Alexander Ekman plonge le Ballet de l’Opéra dans un déluge vert et transforme la fosse d’orchestre en une énorme piscine à balles. L’acmé visuelle du spectacle libère l’adulte du poids de la vie et de l’institution. Le titre tient ce qu’il promet : « Play » !

On joue? On joue! Et on rêve comme seul un enfant peut rêver. Sous le ciel, rien que des paquets qui descendent et remontent, certes blancs mais sans doute destinés aux cadeaux. En bas, tout le monde joue. A quoi ? Difficile à dire… D’abord une séance d’échauffement collectif, en vêtements blancs comme pour le tennis.

Ekman a bien raison : Dans la vie, tout le monde « joue » : les sportifs, les musiciens, les comédiens… Et donc, que font les danseurs, demande-t-il. Ils jouent aussi, chez Pina Bausch par exemple, que bien des tableaux ici nous rappellent par leur côté enjouée et aérien. Tous s’amusent, jusqu’à l’apparition d’un roi et d’une reine, et même d’un défilé magique de Dianas, à peine vêtues et superbement coiffées de quelques branches en guise de bois.

Opéra National de Paris – Alexander Ekman-Play © Ann Ray

Soixante mille balles

A la légèreté divertissante de ces joyeuses activités s’ajoute le caractère ludique de la partition pop/jazz de Mikael Carlsson. Et puis, les balles, par milliers. Soixante mille, peut-on lire dans le programme. Elles remplissent le plateau et obligent les danseurs à marcher comme dans la boue. La fosse d’orchestre, couverte car les musiciens prennent place sur une estrade en fond de scène, se transforme en piscine à balles.

Opéra National de Paris – Alexander Ekman-Play © Ann Ray

Quand les danseurs balayent cette masse verte, cela produit des vagues qui peuvent rappeler un tsunami, par l’image et par le son! Voilà qui brise, sensoriellement, le quatrième mur. Quand en plus une sphère blanche et molle s’envole en direction de la salle, quand le public aussi est ainsi invité à jouer, entre spectateurs mais aussi avec les danseurs, l’ambiance frôle l’excitation juvénile. Au lieu des applaudissements respectueux qui accompagne habituellement la première tombée du rideau, la salle acclame déjà l’événement.

Opéra National de Paris – Alexander Ekman-Play © Ann Ray

Soixante minutes de désenchantement…

Oui, il fallait bien mettre du festif et faire une sorte de revue de Noël en décembre. Mais « Play » n’en est qu’à sa moitié. Ekman divise la pièce comme la société divise les parcours de vie, en un temps de liberté et une période de formatage. La seconde partie commence certes dans le bac à balles, mais ceux qui y tombent ne sont plus que les ombres de leurs personnages d’avant. La seconde partie est une douche froide, ou plutôt: grise.

Tout de gris ou de noir vêtus, l’ensemble forme la triste masse des employés et ouvrier, affectés à des tâches mécaniques et avilissantes. Leurs unissons gestuels semblent ne connaître aucune fin. Il est vrai qu’on s’ennuie vite au travail qu’une heure d’ennui dans la vie n’est pas la mer à boire. Mais au spectacle, une heure peut faire très longue.

Opéra National de Paris – Alexander Ekman-Play © Ann Ray

…et un discours

Certes, on ne contestera pas la réalité du désenchantement qu’Ekman croit devoir ainsi asséner, accompagné d’une lente litanie au xylophone et d’un texte lu en voix off au sujet du paradis perdu de l’enfance. Il s’agit d’un enregistrement en anglais (surtitré) d’Alan Watts (1915-1973), penseur anglo-américain de la philosophie zen. Watts parle de la déception à voir que la vie, à commencer par l’école, ne tient pas ses promesses d’accomplissement et de joie. Est-ce une découverte?

On s’interroge plutôt sur la validité de l’image d’une enfance émerveillée de bout en bout. Sans doute Ekman a-t-il grandi dans une société suédoise pacifiée et au meilleur de sa forme. Ce qui expliquerait son envie de partager son engouement pour un retour en enfance. Mais la seconde partie ne semble pas être indispensable, d’autant plus qu’on revient finalement au jeu avec les balles et les ballons, pour terminer en fête tout de même, et sur une chanson gospel par la merveilleuse Callie Day.

Mais si l’idée est d’aller à l’Opéra Garnier pour s’émerveiller grâce à la technique de pointe de ces danseuses et ces danseurs, on désenchantera aussi. Les capacités physiques de cette troupe, l’une des meilleures du monde, ne sont pas mises en valeur. Ce qui ne veut pas dire qu’il n’y a pas de grâce. Mais elle se place ailleurs, dans des gestuelles plus libres ou bien plus proche du mime corporel, dans une œuvre drôlement bicéphale et indécise.

Thomas Hahn

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