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À La Villette, triple atterrissage de Preljocaj

Thomas Hahn 25 juin 2018
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Blanche Neige d'Angelin Preljocaj © JC Carbonne

Trois spectacles pour deux programmes Preljocaj à La Villette, sur des musiques de Mahler à Stockhausen ! De Blanche Neige, sa pièce la plus populaire, à Helikopter, la plus radicale, ce programme permet de découvrir les différentes facettes de l’artiste qui passe de l’abstraction à la narration comme d’autres du vin blanc au rouge.

Helikopter d’Angelin Preljocaj © J.-C. Carbonne

C’est un portrait en trois pièces que La Villette propose au public parisien, portrait d’Angelin Preljocaj qui réside, depuis 2006, au Pavillon Noir à Aix-en-Provence, l’un des rares Centres Chorégraphiques Nationaux qui revendiquent le terme de « ballet » en leur appellation et savent lui donner un sens.

Mais Preljocaj est avant tout un chorégraphe résolument contemporain. Son blockbuster Blanche Neige, œuvre monumentale déclinant l’ADN du ballet romantique, sera précédé d’un programme réunissant Helikopter, une pièce abstraite et fascinante sur le fameux concerto de Karlheinz Stockhausen pour quatuor à cordes et quatre hélicoptères, et sa toute dernière création, Still life.

C’est bien sûr d’abord Blanche Neige qui attire l’attention et le public. La relecture du conte des frères Grimm, dans les fabuleux costumes signés Jean-Paul Gaultier, est l’œuvre la plus populaire de Preljocaj. Elle a été jouée à travers le monde et adaptée au cinéma, elle est bien sûr truffée de personnages hauts en couleur, et même de danse verticale.

Blanche Neige d’Angelin Preljocaj © J.-C. Carbonne

Cette version nous parle des désirs de la jeune Blanche Neige, des sombres pulsions de la Marâtre, prête à sacrifier sa belle-fille, d’errances et de narcissisme. Les sept nains y sont des travailleurs de mine, de vieux célibataires un brin lugubres… Sans oublier le Prince, la cour, le couple royal… Oui, Preljocaj dévoile ici un côté populaire et narratif, qu’on ne soupçonnerait pas en voyant Helikopter. Et il est vrai qu’il est pratiquement le seul à savoir passer d’un extrême à l’autre.

Stockhausen

Avec Karlheinz Stockhausen, pape de la musique électronique d’outre-Rhin, Preljocaj entretenait une relation privilégiée, marquée d’un grand respect mutuel. L’idée de créer une pièce chorégraphique sur une musique aussi minimale et grandiloquente en même temps a fasciné les deux hommes. Helikopter n’a de toute évidence pas été pensée par le compositeur comme une pièce pour la danse. Seul Preljocaj a pu avoir l’idée de relever un tel défi.

La pièce est rarement jouée live, puisque sa version concert nécessite, eh oui, les fameux hélicoptères, au nombre de quatre. La chorégraphie n’a par ailleurs rien d’aérien. Au contraire, les danseurs développent un lien particulier avec le sol. Car Preljocaj se laisse plutôt inspirer par la puissance des pales et le son des turbines, imaginant les protagonistes dans le périmètre d’hélicoptères en train d’atterrir ou de décoller, ce que l’éclairagiste Patrick Riou transpose en grande épure, dans de très belles projections au sol.

Les échanges entre Preljocaj et Stockhausen ont ensuite mené à une rencontre personnelle, une amitié d’artistes et la réalisation de la pièce Eldorado en 2007, sur la composition Sonntags-Abschied de Stockhausen. Il y en aurait eu d’autres, mais le compositeur visionnaire décéda la même année, alors que Preljocaj était en train de travailler sur Blanche Neige, juste après Eldorado, pièce toute aussi abstraite que Helikopter.

Vanités

Mais ce n’est pas Eldorado qui complète le premier programme Preljocaj à La Villette. Le choix s’est porté sur sa dernière création en date, Still life, basée sur les Vanités en peinture. Ce n’est donc pas une œuvre musicale qui a inspiré cette création, mais cette branche particulière des natures mortes du XIIe siècle.

Still life d’Angelin Preljocaj © J.-C. Carbonne

Pièce troublante et d’une grande force cinétique et visuelle, Still life alterne entre le fluide et le saccadé, entrecoupant des tableaux très soutenus par des natures mortes, faites de corps vivants, encore chargés de l’engagement physique précédent, et d’objets issus de l’univers des Vanités. Et il arrive que les images soient bercées d’un tic-tac chronométrique ponctuant l’univers sonore d’Alva Noto et Riyuchi Sakamoto. Aussi, Still life plonge le spectateur dans un univers sombre et parfois proche de la transe, quand les allégories de la mort se mêlent à une bonne dose d’érotisme macabre.

Entre ce programme double et le conte de Blanche Neige, le contraste est énorme. Et pourtant, Still life aussi aborde nos démons intérieurs. Le personnage de la Marâtre pourrait bien se balader sur le plateau de Still life. Et bien sûr, comme tous les grands, de Bausch à Cunningham, Preljocaj aussi a son style, ses mouvements phares qu’on retrouve à travers ses pièces. C’est dans le registre très affirmé des mouvements ultra-précis, dans l’articulation très développée qu’on trouve une même idée d’absolu, de Helikopter à Still life.

Thomas Hahn

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