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Féminines : quand le foot libère les femmes

Hélène Kuttner 1 décembre 2019
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© Pierre Grosbois

Dans une création en forme d’uppercut, tonique et généreuse, Pauline Bureau raconte l’histoire de la première équipe de football féminin de Reims, créée par hasard alors que personne n’y croyait. Avec une bande d’acteurs épatants et dans une scénographie cinématographique, le spectacle est une totale réussite.

Sport d’équipe

© Pierre Grosbois

Dans son dernier spectacle, Hors la loi, qu’elle a créé à la Comédie-Française, Pauline Bureau évoquait de manière bouleversante le procès de l’avortement d’une jeune fille dans les années 70. Direction d’acteurs, finesse du texte, fluidité de la scénographie, les qualités du spectacle se retrouvent aujourd’hui avec cette comédie enlevée et joyeuse sur les débuts du football féminin. Savez-vous que le premier match français entre filles fut disputé en 1917 ? Que le premier championnat de football féminin s’est déroulé dans les années 1920, avant d’être interdit par le gouvernement de Vichy en 1941, en tant que sport interdit aux femmes ? En 1968, le journaliste Pierre Geoffroy décide de proposer un match de football entre femmes comme attraction pour la kermesse du journal L’Union à Reims. Après le combat de catch entre nains, les femmes footballeuses amuseront un public venu pour savourer une performance grotesque. Mais le journaliste n’avait jamais pensé que son idée aurait une suite, et qu’une flopée de femmes de tous âges et de toutes professions répondraient avec succès à l’appel.

Une nouvelle liberté

© Pierre Grosbois

Le spectacle débute par une image saisissante : en hauteur, sur une coursive, trois ouvrières s’activent, les bras attachés à des élastiques, sur leur chaîne de travail. Chacune d’elles est assise, concentrée, et doit avec la précision d’un métronome activer une presse monumentale sans oublier de retirer ses doigts. L’ambiance sonore (Vincent Hulot) est oppressive, la lumière (Sébastien Böhm) cinglante, et les filles sont soumises à l’obligation stressante de réaliser 300 pièces à l’heure. La scène suivante, qui se déroule sur le plateau, figure l’arrivée au journal L’Union de ces mêmes femmes, informées de la proposition d’un match de football féminin. Il y a là Rose, Louise Orry-Diquero, jeune et sculpturale blonde, qui refuse de se soumettre aux diktats masculins de son fiancé Franck qui lui passe déjà la bague au doigt, Marie-Maud la mère de famille dans sa robe à fleurs, délicieuse de naïveté et d’énergie, incarnée par la formidable Catherine Vinatier, la gamine Marinette qui raconte à son paternel qu’elle fait de la danse classique (Camille Garcia), Jeanine, Joana, Françoise, Josepha et Suzanne, qui viennent cueillir dans l’ambiance des vestiaires l’énergie d’une équipe, le défi de la compétition, une part de liberté et d’échappatoire à leur vie quotidienne (Rebecca Finet, Léa Fouillet, Sonia Floire et Marie Nicole).

De vrais matchs

© Pierre Grosbois

Il faudrait citer tous les acteurs, Yann Burlot en journaliste émancipateur puis en entraîneur international, Nicolas Chupin en compère bienveillant, Anthony Roullier en fiancé obtus, tous sont épatants et jouent plusieurs personnages. Mais il faut aussi saluer l’habile scénographie d’Emmanuelle Leroy qui fait glisser les décors comme un montage cinéma, passant des vestiaires avec douches où se nouent toutes les amitiés, et la vidéo de Nathalie Cabrol qui projette de vraies images des matchs, en format large mais avec des gros plans des comédiennes qui apportent un réalisme et une humanité fraternelle. La musique de Gossip ou Beyonce nous entraîne, avec les comédiens, dans un tempo très actuel, comme si cette histoire, basée sur des témoignages réels des footballeuses de l’époque, n’avait pas fini de s’écrire aujourd’hui. En 1978, l’équipe de France qui comportait majoritairement des joueuses de Reims gagnait la Coupe du Monde et vingt ans après, le foot féminin devient une discipline olympique. On n’a pas fini de faire bouger les lignes !

Hélène Kuttner

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