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“Le Tartuffe ou L’hypocrite”, une bombe à la Comédie-Française

Hélène Kuttner 18 janvier 2022
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© Jan Versweyveld

Avec une version d’origine en trois actes, interdite par Louis XIV et longtemps méconnue, le metteur en scène flamand Ivo van Hove revient à la Comédie-Française après le succès des Damnés de Visconti, spectacle repris et multi-récompensé. Avec une bande de comédiens virtuoses, dont Christophe Montenez et Denis Podalydès, ce Tartuffe originel claque d’une puissance de feu sur un plateau à nu qui met aussi nos nerfs et nos émotions sous tension. Une superbe fête d’anniversaire à Molière dont on célèbre les quatre cents ans cette année.

Un SDF échoué sur un trottoir

© Jan Versweyveld

Trois actes, écrits d’une plume magistrale qui martèle des alexandrins d’une force proverbiale et raconte la montée en puissance d’un pauvre homme, recueilli dans une famille bourgeoise, dont il va cristalliser les fantasmes, désirs et frustrations de chacun jusqu’à devenir l’idole du maître de maison Orgon, l’amant de sa malheureuse épouse Elmire, ainsi que le propriétaire du lieu en ayant séduit tout le monde, belle-mère bigote comprise, avec la seule arme de l’hypocrisie religieuse. La pièce originelle en trois actes fait l’économie des amours tendres en Marianne et Valère, de la résolution en forme de coup de théâtre qui chasse le méchant Tartuffe par la magie de la justice d’un prince, deus ex machina convoqué par Molière pour adoucir sa charge contre les faux dévots de l’Eglise et voir sa pièce finalement acceptée. Le metteur en scène Ivo van Hove se saisit du propos en le modernisant pour en tirer la sulfureuse intrigue et mettre en valeur les dysfonctionnements psychologiques, les névroses profondes d’une famille qui se prosterne devant un inconnu recueilli dans la rue.

Trio amoureux

© Jan Versweyveld

Le plateau est nu mais éclairé subtilement par un ballet de projecteurs, de chandeliers et de torches mobiles, et tous les changements se font à vue. Dès le départ, Christophe Montenez, d’une puissance scénique époustouflante, campe un malheureux qu’on lavera et habillera dans des vêtements de fête. Clochard céleste tombé du Ciel dont il se revendique sans arrêt, il séduit Denis Podalydès par l’assurance d’une piété sans limite et l’autorité d’une certitude que seule la mère d’Orgon, la terrible Madame Pernelle jouée par Claude Mathieu, exerce telle un capo de régiment. Quand à Elmire, campée par une sensuelle et sauvage Marina Hands, elle se retrouve prise au piège du désir de Tartuffe dont elle va finir par tomber amoureuse dans cette mise en scène d’une intelligence puissante et d’une belle sensualité. Loïc Corbery joue Cléante le beau-frère, qui tente sans succès de raisonner ce « fou » et Dominique Blanc est Dorine, fine mouche qui se pique de tout et ose tenir la dragée haute à Tartuffe. Damis, le fils, incarné par Julien Frison, se démène dans une révolte stérile, pauvre enfant spectateur des névroses et prédations familiales, de sa mère adultère et de son père monstrueux et sans coeur qui le renie en faveur de Tartuffe.

Une esthétique de cinéma

© Jan Versweyveld

Costumes-cravates sombres pour les hommes, robes noires pour les femmes, cheveux lissés et longs qui brillent sous la lumière éclatante des projecteurs, l’esthétique glacée s’accorde avec la composition musicale d’Alexandre Desplats qui crée une ambiance étrange et fantastique, comme un écrin à l’intimité des relations entre les personnages. Avant chaque scène, une ou plusieurs phrases d’annonce apparaissent sur un écran, comme pour rythmer le suspense d’une plongée dans un abime. Mais hormis la scénographie, les lumières et la musique, c’est le jeu des comédiens et la manière dont ils sont dirigés qui est remarquable ici. Denis Podalydès révèle toutes les nuances et les subtilités de son talent en incarnant un Orgon captif, sous emprise et totalement impuissant et soumis. Claude Mathieu est cruelle et royale dans sa prise de pouvoir maternelle, et Marina Hands sensible et haletante, comme secouée par des désirs contradictoires, la légitimité d’épouse et le désir d’exister. Tous sont épatants et font entendre remarquablement un texte qui résonne formidablement encore aujourd’hui, en dénonçant les faux semblants de tous bords et la complaisance. Un spectacle de très haute tenue.

Hélène Kuttner

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