“Dolorosa” ou trois sœurs du XXIe siècle au bout de leur vie
©Pascal Gely
Au Théâtre du Rond-Point, le talentueux metteur en scène et acteur Marcial di Fonzo Bo monte Villa Dolorosa, une variation des Trois Sœurs de Tchekhov signée de l’autrice germanique Rebekka Kricheldorf, figure de proue des dramaturges Outre Rhin. Dans une scénographie en forme de galerie d’art contemporain, les comédiens, dont Marie-Sophie Ferdane qui irradie, s’en donnent à cœur joie dans la dérision un peu vaine d’un vaudeville du XXIe siècle.
Anniversaires

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28 ans ! C’est l’âge d’Irina qui fête aujourd’hui son anniversaire. Elle partage avec ses deux soeurs, Olga, la plus grande, institutrice, et Macha, la mal mariée, une complicité à toute épreuve. Mais la vie est si absurde, si « merdique » -dans le texte- que malgré l’ambiance festive, la sono qui crache de la musique hyper pop, personne ne vient à la fête. Que sont mes amis devenus ? Andreï, leur frère, campé par Alexandre Steiger, est englué dans sa nonchalance, revendiquée comme un art de vivre, et passe en coup de vent dans la maison. Seul Georg, qu’interprète Rodolphe Congé, le seul véritable ami d’Andreï, participe à l’ambiance festive. C’est que les trois sœurs orphelines, contraintes de survivre dans leur vie médiocre avec leur frangin qui ne trouve rien de mieux à faire que de tomber amoureux d’une adorable idiote, s’ennuient terriblement.
Dans la lumière de Tchekhov

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Inspirées des Trois soeurs d’Anton Tchekhov, nos trois jeunes bourgeoises s’inventent mille vies, milles aventures, pour trouver enfin un sens à leur existence. Alors que Georg fuit son foyer avec sa femme suicidaire, il trouve du temps pour faire la cour à Macha, la femme enfant jouée de manière truculente par Elsa Guedj. Irina, qu’incarne Camille Rutherford, met toute son énergie rock à brasser du vent, changeant d’avis avec l’inconstance d’une adolescente. Sociologie, psychologie ou philosophie, le choix est complexe pour la benjamine, étudiante éternelle. Seule Olga, qui est interprétée de manière splendide par Marie-Sophie Ferdane, tailleur strict et jupe serrée à la fermeture éclair plus que coquine, travaille comme enseignante, consacrant toute sa vie à un emploi ingrat et mal payé.
L’éternel retour de l’ennui

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Contrairement aux personnages humanistes de Tchekhov qui s’accrochent à chaque lueur d’espoir, dans une province russe poussiéreuse du XIXe siècle, qui ne leur offre aucune porte de sortie, sinon le mariage avec un officier fortuné, ceux de Rebekka Kricheldorf sont blasés, noyés dans une autodérision névrotique, et peu enclins à espérer. C’est sans doute pour cette raison que la pièce vire au vaudeville cruel et un peu cynique, et que Marcial di Fonzo Bo a choisi un décor ripoliné de musée contemporain, avec tableaux d’orques et d’otaries échoués sur la banquise. Le rythme est délibérément tonique, les situations souvent grotesques dérapent avec un humour décalé, vulgaire et souvent très cru. On rit, les bonnes répliques fusent et le mal de vivre revient comme un gimmick, les acteurs sont efficaces, Marie-Sophie Ferdane est captivante, mais on a du mal à se laisser convaincre par l’intérêt de la pièce. Que nous raconte-t-elle vraiment ? Reste une comédie enlevée, dont on attendait, vu le sujet, davantage de profondeur et de questionnements.
Hélène Kuttner
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