“La Distance” au Festival d’Avignon : Tiago Rodrigues signe un puissant face à face entre un père et sa fille
©Christophe Raynaud de Lage / Festival d'Avignon
Dans une dystopie que l’on pourrait qualifier de réaliste, le patron du Festival d’Avignon fait dialoguer un père, sur Terre en 2077, et sa fille partie sur Mars pour oublier la mémoire des Terriens. Tandis qu’elle construit un nouveau monde, lui reste sur une terre en partie détruite, mais en gardant l’espoir de la retrouver, au fil de dizaines de messages envoyés dans l’espace. Adama Diop et Alison Deschamps sont fabuleux dans ce spectacle bouleversant, très applaudi par le public.
« Sur Mars, nous oublierons l’Histoire »

©Christophe Raynaud de Lage / Festival d’Avignon
Ali, Adama Diop, est médecin à l’hôpital. Il est seul face à nous sur un plateau en forme de disque planétaire, recouvert d’une terre cuivrée et comme battue par les vents, alors que deux troncs d’arbres morts s’enlacent auprès d’un rocher de granit rose (scénographie somptueuse de Fernando Ribeiro), éclairés dans de subtils camaïeux dorés par Rui Monteiro. Ali, costume brun et cravate impeccable, parle à sa fille qui est partie très loin, sur une autre planète très froide : Mars. Pour communiquer à travers cet espace immense, seuls sont autorisés les messages vocaux enregistrés une seule fois. « Pourquoi ? », répète-t-il comme un possédé, tentant de trouver une raison au départ de sa fille. Et il s’exprime, avec la douleur et la dépossession d’un père qui voit partir son enfant très loin, dans l’espace. Nous sommes en 2077, la Terre a subi plusieurs effondrements, les contaminations aquatiques sont nombreuses, et des « méga-corporations » recrutent des « oubliants » pour les envoyer fonder une nouvelle humanité sur la planète Mars. C’est ainsi que la jeune Amina, Alison Deschamps, a quitté la Terre, convaincue qu’il n’y avait plus rien à en attendre, sans prévenir son père.
Un plateau qui tourne à l’image de la Terre

©Christophe Raynaud de Lage / Festival d’Avignon
Tour à tour, dans cette astucieuse scénographie qui fait tourner le plateau, plus ou moins rapidement, parfois comme une transe, le père ou la fille prendront la parole face public. Le travail des acteurs est ici assez acrobatique car ils doivent évoluer, quasi statiquement, à la verticale d’un plateau tournoyant sur lui-même. Et dans la belle langue de Tiago Rodrigues, intime et d’une puissance sensibilité, ils vont déployer chacun leur argument, leur révolte et leur amour, leurs angoisses et leurs peurs. Alors qu’Ali le père cherche à convaincre sa fille de revenir sur Terre, Amina lui répond « Cette hostilité je l’ai choisie. Je veux être humaine ici. » L’angoisse d’un père pour sa fille, déterminée à se construire dans un endroit vierge où tout est à bâtir, la distance immense qui sépare les deux êtres ne fait qu’accroître l’intensité de leur communication. Adama Diop est d’une sobriété bouleversante, d’une puissance dramatique fascinante. Sur Mars, Alison Deschamps, en tenue blanche de bâtisseuse, fait preuve d’une étonnante maîtrise dramatique. En dehors de la force de la relation père fille, dont le père finit par avoir une entière confiance, le texte aborde bien sûr la menace politique d’une oligarchie numérique qui table sur la disparition de notre mémoire, ce qui arrive à Amina sur Mars, pour construire une société de sur-humains égalitaires, un « Meilleur des mondes » qui nierait toute subjectivité.
Une histoire de mémoire

©Christophe Raynaud de Lage / Festival d’Avignon
Car le fil conducteur de cette création est bien celui de la mémoire, un motif récurent des créations de Tiago Rodrigues. Ali le père ne cesse d’interroger la mémoire de sa fille, autour des dates des grandes découvertes scientifiques. La mémoire qui nous habite, nous Européens, depuis les grandes découvertes et les colonisations du XVII° siècle, jusqu’à l’appétit de pouvoir et de prédation des plus riches au XXI° siècle, serait aussi à questionner, à mettre en perspective critique. « J’ai le don de l’espoir », confie Ali le père, qui voit sa fille et la mémoire de celle-ci s’éloigner et disparaître progressivement. Comment garder espoir d’améliorer et de réparer notre monde face à des perspectives de destruction de notre culture et de notre mémoire ? De la nature et de ses potentialités ? Il sera possible de fabriquer sur la planète Mars de l’huile d’olive, mais sans olives. Et sans tomates nous confie Ali-Tiago, pour qui les tomates au gros sel et à l’huile d’olive sont ce qu’il y a de meilleur. La dernière lettre qu’Ali envoie à sa fille, qui a oublié sur Mars qui était son père, est de ce point de vue totalement poignante d’émotion et de réflexion. La planète bleue s’éloigne soudainement, et Mars apparait comme une boule de feu rouge à l’horizon. Un voyage théâtral qui nous rend encore plus vivants, encore plus désirants.
Helène Kuttner
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