Festival d’Avignon Off : nos coups de cœur, deuxième épisode
« Annette », « Ubu président », « Celle qui », « Fast », autant de spectacles du Off qui constituent nos coups de cœur, deuxième épisode, en raison de la qualité et de l’actualité de leur propos, de la force de leur texte et du talent de leurs comédiens. Laissez-vous guider…
Annette, une vie de rêve

©Laurent-Poma
« Faut du courage pour aimer … l’amour, c’est un marécage. On ne sait pas où on met les pieds. » Ainsi parle Annette, 75 ans, un corps et une vitalité de feu. C’est son histoire, réécrite à partir d’entretiens, qu’elle raconte à Clémentine Colpin, assise au premier rang dans le public. La scène est un immense espace clair bordé de rideau de perles qui forment des bulles intimes. Annette Baussart est sur le plateau, au téléphone pour un dépannage internet, petite femme à l’énergie irruptive, que l’on voit se battre avec l’administration, avec les cadres, avec la norme, avec la vie qu’on lui impose. Sur le plateau ouaté, deux jeunes comédiennes et deux danseurs, tendres complices de l’héroïne, pénètrent dans son histoire jusqu’à devenir elle-même, où les personnages de sa vie. Debbie Reynolds danse sur la scène dans Good Morning en 1952, Doris Day chante Que sera sera, le plateau est une comédie musicale et la musique crache le jazz ou la salsa. Et dès lors nous voyageons avec ces cinq personnages au cœur de ce voyage mémoriel marqué de ruptures, de déchirements et de révoltes. De tendresse et de colères. Annette n’est jamais restée où on l’attendait, délaissant son rôle de mère et d’épouse pour faire la paix avec son propre corps et s’offrir le choix de ses propres désirs. Le franc-parler d’Annette, son humour dévastateur, sa simplicité sont le fil conducteur d’un spectacle magnifique que la mise en scène de Clémentine Colpin enveloppe de grâce et de douceur, de lenteur et de délicatesse. Les jeunes interprètes, à l’unisson de cette délicatesse, impriment à leurs gestes quotidiens une suavité délicate et bienveillante, constituant ainsi avec Annette un corps collectif. Superbe.
Théâtre des Doms, 13h (relâche les 9, 12, 16, 19 et 23 juillet)
Ubu Président, dystopie explosive

©Elie-Benzekri
Quelle géniale idée que d’adapter la célèbre pièce d’Alfred Jarry, Ubu roi, à notre monde contemporain ! Mohammed Kacimi, excellent dramaturge, et Isabelle Starkier, metteuse en scène engagée, ont astucieusement tricoté cette pochade qu’un tout jeune auteur, Alfred Jarry, composa en 1896. A sa création, Ubu roi provoqua un gigantesque scandale, car on y voyait un méchant et grotesque clown, capable de tous les excès et de toutes les horreurs pour satisfaire ses instincts : gagner de l’argent et se remplir sa « gidouille », sa bedaine. Comme son cousin Macbeth, il est poussé par sa femme Mère Ubu, une mégère assoiffée de pouvoir, et commence à s’attaquer à la Pologne avant de tuer le Czar de Russie, maniant une machine à décerveler avec un « croc à merdre » ! Les rois devenant aujourd’hui des présidents, c’est en musique, sous la fabuleuse direction d’Alain Territo, que la joyeuse troupe transforme cette pochade politique, qui devient ni plus ni moins une formidable comédie musicale, avec un petit orchestre et des acteurs danseurs et musiciens devenus des personnages costumés au comble du grotesque. Ubu, c’est Stéphane Miquel, extraordinaire comédien capable de danser des claquettes tout en éructant des propos salaces, tandis que Mère Ubu est campée par la talentueuse Clara Starkier. Ils sont tous deux au chômage, dans des costumes hallucinants et des maquillages incroyables, ils s’étripent vulgairement mais le rire démoniaque d’Ubu dévasterait la terre entière avec ses « rien à foutre ». Tiens, voici qu’une journaliste de Niouze, en quête de faits divers, vient les interviewer et décide des les aider à réaliser le rêve de leur vie : devenir président et femme de président. Dès lors, et on ne dévoilera pas les modèles présidentiels qui ne cessent de jaillir dans ce spectacle, une démoniaque stratégie se met en place en forme de programme de campagne : « vive le cassoulet », « à bas le couscous », « la retraite à 100 ans » et on met en place le Ministère des vacances ! Ubu le démagogue n’a peur de rien et il boxe quand il faut se battre. Michelle Brûlé, Stéphane Barrière, Stéphane Miquel et Virgile Vaugelade complètent cette musicale distribution qui nous propulse dans une effrayant dystopie, où le rire côtoie l’effroi, comme pour les dictatures qui sont prennent souvent le masque de la dérision. Un spectacle ébouriffant et indispensable.
Théâtre du Balcon, 18h30, relâche le jeudi
Celle qui, dans le coeur d’une femme

©Stéphane Benchimol
Dans l’intimité de sa chambre, en peignoir blanc devant son miroir, une jeune femme se regarde. Elle noue ses cheveux roux, choisit la jupe, le chemisier blanc et les escarpins à talon rouges qui lui donneront dans cinq minutes l’allure d’une conquérante. Un peu de maquillage, on recoiffe la frange, et on vérifie son sac à main. Il y manque la clef de l’appartement conjugal. Impossible de sortir. Elle appelle son homme au téléphone qui ne répond pas, la ville entière bruisse de réunions dans des bureaux. Et c’est justement le moment qu’elle choisit pour remettre sa vie à plat. Vers qui, vers quoi court-elle ? Que cherche-t-elle ? La reconnaissance ? La liberté ? L’indépendance ? Et si justement tout cela n’était qu’une illusion qui dissimule le réel ? Si cette injonction permanente à être performante ne l’emprisonnait pas, paradoxalement, dans une nouvelle cellule, celle de la femme parfaite, idéale, artificielle ? Romane Kraemer a composé et interprète ce délicat et fort solo théâtral, construit à partir de récits de femmes réécrits par Dario Fo et Franca Rame, d’œuvres de Clarisse Lispector (Près du cœur sauvage) et de Mona Chollet (Sorcières). Elle s’est aussi inspirée pour ce monologue de Clarissa Pinkola Estès (Femmes qui courent avec les loups). On la voit subtilement et rageusement se débarrasser de tous les attributs féminins, si finement dénoncés par Virginia Woolf. Dans cette « Chambre à soi », la comédienne, qui chante aussi, devient toutes les femmes, dépouillées de leurs visions fantasmées et de leurs injonctions à la perfection. C’est très beau.
Théâtre des Lila’s, 10h30, jusqu’au 14 juillet
FAST, hautement inflammable

© Ryszard Karcz
Comment lutter contre la fast-fashion, éviter de tomber dans les pièges de la consommation jetable, considérer ses besoins avant ses désirs impulsifs devant un étalage de tee-shirts Zara ou sur le site d’achat en ligne SHEIN ? Partant du fait qu’aucun de nous n’est un héros, et à défaut de vivre dans un no man’s land, Olivier Lenel et Didier Poiteaux, comédiens et metteurs en scène, se sont interrogés sur la manière dont nous sommes habillés, en commençant par envisager leur armoire. Qui d’entre nous n’a pas cédé au désir compulsif d’acheter un vêtement, en solde de préférence, qui reste avec l’étiquette durant plusieurs mois dans l’armoire ? Le spectacle qu’ils ont conçu, avec une intelligence et une fantaisie formidables, va à l’encontre de tout moralisme et de toute culpabilisation. Dans un dispositif bi-frontal, très simple, ils engagent avec le public une conversation basée sur nos choix de vie, la manière dont nous sommes influencés par les grands groupes, à partir de jeux interactifs et d’interviews qu’ils rejouent. Des chiffres, une chronologie reprend l’évolution sidérante, à partir des années 1980, de l’augmentation de la production textile et de la baisse des coûts. Mais tout se fait au fil de conversations et de scènes très drôles, comme un délirant défilé de mode flamand. Les comédiens sont très cocasses, le propos pédagogique à souhait, surtout quand ils reprennent de vraies interviews en les interprétant, et le principe écolo humaniste du BISOU (Besoin, Immédiat, Semblable, Origine,Utile) détaille les 5 questions à se poser avant chaque achat. Le spectacle, destiné aussi aux adolescents, s’achève par un très bel extrait audio de Georges Pérec qui semble avoir tout compris dès les années 1960. Mais ce spectacle est comme une bulle d’espoir et de jouvence pour préparer notre avenir.
Théâtre des Doms, 10h30, relâche le mercredi
Hélène Kuttner
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