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“Mami”, moment de splendeur originelle au Festival d’Avignon

Helène Kuttner 15 juillet 2025
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© Christophe Raynaud de Lage / Festival d'Avignon

Mario Banushi, jeune artiste de 26 ans d’origine albanaise, présente au Festival d’Avignon sa dernière création, Mami, un spectacle sans paroles, mais peuplé d’images sidérantes, d’une stupéfiante beauté. Au coeur de cette merveille scénique, la présence de toutes les femmes qui l’ont entouré grâce à des acteurs performeurs magnifiques. Le spectacle sera présenté à l’Odéon-Théâtre de l’Europe en avril 2026.

Le Jardin des délices

© Christophe Raynaud de Lage / Festival d’Avignon

Dès la première scène, un paysage nocturne et brumeux, strié par le lacet d’une route mal définie, où trône une maison toute simple, nous sommes dans un autre monde. La bande son magistrale déploie son velours de tonalité étranges. Entre cinéma et théâtre, la vie s’anime lentement, dans un rythme ouaté comme un rêve. Une femme enceinte vient accoucher sur un lit de fortune, et c’est son fils, un grand gaillard maintenant adulte, qui retrouve sa mère, vieillie et fatiguée par le temps, et se met à la nourrir à la cuiller, à changer sa couche et à lui nettoyer l’entre-jambe. Le bébé devenu homme s’occupe à son tour de sa vieille mère, qui peut rentrer à la maison. Survient une jeune fille, aussi longue et brune qu’un personnage du peintre Le Greco. Elle vient embrasser son fiancé, mais la mère réclame encore à manger, ouvrant comme un bébé la bouche pour sa becquée d’oiseau. Le fils est entre ses deux femmes, la nourricière originelle et celle qui arrive pour lui donner, sans doute, un autre enfant.

Gréco, Jérôme Bosch et l’origine du monde

© Christophe Raynaud de Lage / Festival d’Avignon

Il y a dans ce spectacle une suite d’images saisissantes de beauté, créées par d’incroyables jeux de lumières, clair obscur à la Caravage et composition de corps nus, languides comme ceux des premiers nés de la Bible. On songe au Jardin des Délices de Jérôme Bosh, pour la fantastique finesse et beauté des tableaux que les acteurs performeurs, gymnastes, de Mario Banushi, créent avec une grâce renversante. Quand l’un deux se déplace, le corps inversé, sur les mains, tel un chien errant sur un sol boueux, et mord le voile sublime qui enveloppe le couple de fiancés, unis comme Adam et Eve dans leur nudité magnifique. Lorsque la fiancée plonge violemment sa tête et son buste dans un cube d’eau, et qu’elle nous regarde, le corps ployé, les yeux noirs grand ouverts, avant de recommencer son suicide plusieurs fois. Quand deux garçons, rivaux, se battent au cours d’une rixe chorégraphique, avant de se réconcilier grâce aux femmes, la mère, et la fiancée qui revient à la vie.

Scénographie puissante

© Christophe Raynaud de Lage / Festival d’Avignon

Toutes ces scènes, rejouent tous les moments de la vie d’un être humain, dans un éternel recommencement : la naissance, la protection nourricière, l’union amoureuse, la décrépitude, et la mort, ici représentées avec un art abouti de la simplicité. Mario Banushi a l’habitude de dessiner ses séquences avant de les représenter sur scène. La présence charnelle des corps nus, l’organicité de ces moments de vie, servis par d’éblouissants interprètes, se déroulent dans une scénographie qui dédouble les maisons, boites qui s’ouvrent en se renversant, comme dans un tableau de Magritte. De l’infiniment grand à l’infiniment petit, le spectacle se conclut par une photographie que Mario Banushi vient découper sur la scène au ciseau : celle d’une mère allaitant son enfant. Ce bébé, il s’en empare comme un double se reconnaissant aujourd’hui, tandis que la mère du spectacle, allongée sur un lit de fortune et sans vie, est recouverte par tous les accessoires de la scène que déposent chaque personnage, comme un ultime hommage à celle qui nous donne la vie. Une totale splendeur.

Helène Kuttner 

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