This Must be the Place – film de Paolo Sorrentino
Sean Penn est un acteur extraordinaire. Passé ce constat, qui d’ailleurs n’a rien d’une révélation, depuis trente ans que le cinéma américain bénéficie de son charisme et de sa présence impressionnante, il ne reste hélas pas grand argument en faveur de This Must Be the Place, ennuyeux road-movie où la question du temps s’avère néanmoins prégnante.
Soit l’histoire de Cheyenne, qui fut vingt ans plus tôt une « fucking rock-star », icône qui écrivait « des chansons dépressives pour des jeunes dépressifs », jusqu’à ce qu’une tragédie le convainque de mettre fin à sa carrière. Il vit depuis lors en Irlande, où sa gloire passée lui offre tout loisir de s’ennuyer luxueusement. Jusqu’au jour où il se voit contraint de se rendre au chevet de son père mourant, à qui il n’a pas parlé depuis trente ans, convaincu de n’avoir jamais été aimé. Mais il arrive trop tard. De son défunt père, Cheyenne reçoit en héritage l’étrange mission de retrouver un ancien officier nazi qui en fut le bourreau à Auschwitz.
A partir de là commence un improbable road-trip, qui voit un Cheyenne motivé par on ne sait trop quoi se lancer sur les traces de la famille du criminel de guerre, accomplir de petits miracles par-ci et susciter du scepticisme par là, sans que ce périple ne mène jamais le film nulle part.
Dès le départ d’ailleurs, les personnages sonnent creux ; ils pleurent sur des tombes, fument en regardant dans le vide, sans évoquer de véritable passé émotionnel. Des histoires de fugues et de suicide sont vaguement esquissées en guise de prétextes à leur soi-disant tristesse, mais rien n’est jamais approfondi, de sorte que leurs errances paraissent terriblement vaines.
Sean Penn habite pourtant un personnage tour-à-tour agaçant et attachant, cynique et blasé, pathétique et un peu fleur bleue, à la voix éraillée, à la démarche traînante et au visage trop maquillé. Mais cela ne suffit pas à porter le film, qui s’enlise rapidement dans l’ennui.
Or, cette monotonie rythmique constitue un comble pour un film qui se préoccupe beaucoup de la question du temps : décrit comme vivant quasi-obsessionnellement dans le passé ; peu intéressé par le futur (comme en témoigne une amusante saynète dans laquelle un jeune chanteur ambitieux se présente à sa porte pour lui proposer de devenir son heureux producteur) ; lancé malgré lui à la poursuite du passé d’un père qu’il n’a pas vraiment connu ; essayant de forcer son entourage à profiter du présent ; Cheyenne est un personnage diachronique, qui peine à rattraper le temps perdu dans son existence afin de se libérer d’une obscure culpabilité.
Le thème du voyage initiatique, du looser en quête de lui-même, de la compréhension de son propre sens à travers le temps de sa vie, a toutefois déjà été bien mieux traité au cinéma par des cinéastes tels que Jim Jarmusch dans Broken Flowers, ou Wim Wenders. Paolo Sorrentino, lui, s’y égare. Dommage pour Sean Penn, qui, un peu aidé par une agréable bande-son où l’on est bien content d’entendre – c’était immanquable – The Passenger, d’Iggy Pop, montre encore une fois l’étendue de son talent.
Raphaëlle Chargois
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This Must Be the Place
De Paolo Sorrentino
Avec Sean Penn, Frances McDormand, David Byrne et Harry Dean Stanton
Sortie le 24 août 2011
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