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Goltzius et la Compagnie du Pélican – en DVD et blu-ray

26 août 2014
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goltzius

Goltzius et la Compagnie du Pélican

De Peter Greenaway

Avec F. Murray Abraham, Ramsey Nasr, Kate Moran, Lisette Malidor et Pippo Delbono

Durée : 116 min

Sortie en DVD et blu-ray le 3 septembre 2014

Sortie le 3 septembre 2014

Danemark. 16e siècle. Hendrik Goltzius est un célèbre peintre et graveur d’oeuvres érotiques. Il aimerait ouvrir une imprimerie pour éditer des livres illustrés. Il sollicite alors le Margrave (Marquis) d’Alsace et lui promet un livre extraordinaire avec des images et des histoires de l’Ancien Testament regroupant les contes érotiques de Loth et ses filles, David et Bethsabée, Samson et Dalila, Saint Jean-Baptiste et Salomé. Pour le séduire davantage, il lui offre alors de mettre en scène ces histoires érotiques pour sa cour.

Entretien avec Peter Greenaway

De Meurtre dans un jardin anglais à Goltzius et la Compagnie du Pélican,
les artistes peintres hantent vos films, pourquoi ?

J’ai toujours été fasciné par les peintres et les créateurs d’images. Je peignais
avant de mettre en scène des films et aujourd’hui encore je peins, mais j’ai
toujours été frustré par la peinture car elle ne comporte pas de bande son. En
réalisant des films, je voulais faire des peintures musicales, ce qui serait une de
mes définitions du cinéma.
Malheureusement, le cinéma est devenu un art essentiellement textuel. Il est
impossible de trouver un film qui aurait pour point de départ autre chose que
du texte. Que vous vous appeliez Almodóvar, Eisenstein ou Godard, c’est la
même chose. C’est tragique pour un médium dont la matière première est
l’image. Mais je pense qu’il y a toujours un moyen de continuer à parler de la
nature du cinéma, de ce qu’il aurait pu être et n’a jamais été.

Qui était Goltzius ?

Goltzius est un graveur connu pour ses talents de copiste, un imprimeur et un
grand peintre. Il est également un des premiers fabricants d’images à avoir mis
en place dans son atelier une chaîne de production. D’une certaine manière, le
cinéma lui aussi est un art de la reproduction. Où se trouve l’original de Gone
with the Wind ? Le cinéma est un phénomène de répétition.
Je suis convaincu que chaque avancée dans les arts visuels, et Goltzius avait
mis en place une technologie inédite au début du XVII e siècle, s’accompagne
de nouvelles pratiques érotiques. Quand les peintures ont eu des formats
plus petits, on pouvait alors les loger dans des appartements privés pour
des contemplations réservées. Les débuts de la photographie, du cinéma et
d’Internet, toutes ces périodes ont été accompagnées de représentations
érotiques qui sont de plus en plus vraisemblables et réalistes.

Tout comme la peinture, la sexualité occupe une part importante dans
votre oeuvre…

Il n’y a que deux sujets importants dans la vie : le sexe et la mort. Shakespeare
ajoutait le pouvoir mais le pouvoir est seulement une question de
manipulation de la mort et du sexe. Les Grecs évoquent la présence d’Eros et
de Thanatos à la création et à la fin du monde. Ne sachant rien de vous, je sais
néanmoins deux choses de manière certaine : deux personnes ont fait l’amour
pour vous concevoir et vous allez mourir. La continuité et la fin sont deux
principes essentiels.

Avez-vous complètement inventé l’histoire de Goltzius et la Compagnie du Pélican ?

Mon histoire s’inspire de faits réels. Originaire du sud de la Hollande, où il
vécut de nombreuses années, Goltzius a beaucoup voyagé, notamment en
Italie. Dans le film, il recherche de l’argent pour fabriquer une nouvelle
presse. Les circonstances particulières qui l’amènent chez le Margrave et
les aventures qui s’en suivent sont de mon invention. Vous pouvez voir que
Goltzius est à mon image. Comme un réalisateur, il doit trouver de l’argent
pour ses projets. Il désire associer le texte et l’image…

Vous avez donc inventé toutes les séquences bibliques ?

Nous savions que Goltzius a illustré l’Ancien Testament et il a probablement
illustré Ovide. Dans Goltzius et la Compagnie du Pélican j’annonce une suite
autour de ces illustrations d’Ovide. Cependant, je ne pense pas que je pourrai
la réaliser.

Avec La Ronde de Nuit, Goltzius et la Compagnie du Pélican constitue le
deuxième volet d’un triptyque que vous consacrez à des peintres ?

C’est ce que disent mes producteurs. Mais le prochain film que je vais tourner
sera autour d’Eisenstein, je me tourne une fois encore vers un grand visionnaire,
qui inventait des images. Autant célébrer le plus grand cinéaste. Ensuite, je
m’attèlerai à un projet autour de Mort à Venise avant de revenir aux peintres.

Après Rubens, Goltzius, encore un peintre flamand…

Ils étaient peut-être les peintres les moins élitistes. En Hollande, il y a eu une
relation entre les peintres et le public qui n’avait jamais existé auparavant.
Les peintures appartenaient à tous et non plus à un petit groupe de
monarchistes.

Pourquoi avoir choisi d’illustrer six récits bibliques ?

La Bible regorge de scènes érotiques : ces pauvres juifs qui ne savent que faire
de leur sexe avec un dieu incroyablement jaloux qui refuse d’accepter quoique
que ce soit en dehors de la loi et des canons du judaïsme. Tout le monde alors
essaye de faire semblant ; tout est devenu une question d’hypocrisie et de
double jeu, d’excuses et de pardons. Tout me passionne dans la Bible.
J’ai choisi six histoires. La première est celle d’Adam et Eve qui apprennent à
faire l’amour regardés, encouragés et guidés par Satan. C’est le premier coït de
l’humanité. La deuxième avec Loth et ses filles aborde l’inceste ; la troisième
l’adultère avec David et Bethsabée ; la quatrième la pédophilie avec la femme
de Potiphar ; la cinquième la prostitution avec Samson et Dalila et la sixième,
issue du Nouveau Testament, la nécrophilie avec Salomé.

Avec Goltzius et la Compagnie du Pélican on apprend beaucoup de choses en
s’amusant.

Je voulais faire tout ce que permet le cinéma : distraire, amuser, éduquer, émouvoir, vous faire penser, vous surprendre, vous exciter. Et je voulais également essayer de nouvelles techniques, mêler les calques et les cadres. C’est un film où vous ne pouvez pas éviter de vous poser la question du cadre. La nature n’offre pas de cadres, c’est un concept culturel, alors montrer le cadre est pour moi un moyen de souligner la manipulation qui préside au point de vue et à l’artifice de chaque histoire.

Votre cinéma est à l’opposé de toute psychologie ?

On ne peut jamais vraiment se défaire de la psychologie, du mimétisme,
de l’identification du spectateur. Mais ce que je désire, c’est déconstruire le
cinéma pour en souligner l’artificialité. Le cinéma est un jeu de dupe : on vous
trompe, on contrôle vos pensées. On puise dans votre bagage culturel dans le
but de réaliser une expérience cathartique. Le cinéma engage profondément
le spectateur alors qu’il n’est qu’un medium artificiel. J’aime cela. Je joue sans
cesse avec le spectateur. J’ai envie de jouer.

On pourrait aujourd’hui trouver des résonnances avec le fanatisme que vous mettez en scène dans Goltzius et la Compagnie du Pelican… Trouvez-vous que l’histoire se répète ?

Vous savez ce qu’on dit : “the first time as tragedy, the second time as
farce”. Peut-être que nous serons les derniers à connaître la Bible. Si le film
réinterprète le plus grand bestseller de l’occident de tous les temps, au XXI e
siècle la Bible a perdu de son pouvoir et de son influence. Aujourd’hui plus
personne ne lit ce livre. Mais quand vous avez étudié la peinture toute votre
vie, vous savez qu’une grande partie des peintures européennes d’avant le
XIXe siècle sont des illustrations de la Bibles. Pour réellement comprendre
Rembrandt il faut maîtriser ce texte référent.

Dans Goltzius et la Compagnie du Pélican, vous abordez la Bible sous un
angle très provocateur.

C’est une obligation pour un réalisateur, un artiste ou un curateur, il faut être
provocateur. Mais attention, John Lennon disait que “l’avant-garde is French
for bullshit” et je suis totalement d’accord avec lui. L’avant-garde est juste une
perception bourgeoise. Cela dit, “Les Demoiselles d’Avignon” de Picasso était
un tableau très provocateur. L’art offre une alternative au statu quo.

L’histoire de Goltzius et la Compagnie du Pélican se déroule à la fin du XVIe siècle, pourquoi avoir choisi cette époque ?

Il y a deux trames. La première qui se déroule en 1590 et la seconde dix ans
plus tard, lorsqu’il est devenu célèbre. Je me permets ainsi d’avoir un
personnage qui apporte des commentaires sur lui-même. Le deuxième
Goltzius a un rôle de critique, on pourrait peut-être même dire de critique de
cinéma.

La fin du XVIe siècle est souvent associée à une période artistique
particulièrement riche, qu’est-ce qui vous séduit le plus dans l’art de cette époque ?

C’est le maniérisme, un art référentiel et réflexif. Pour la première fois, les
peintres réalisent qui ils sont. C’est une période passionnante marquée par le
manque de confiance et la recherche de soi. C’est un moment où les possibles
sont multiples et où chaque culture se regarde elle-même, se réexamine,
se déconstruit. Je pense que nous sommes aujourd’hui dans une période
maniériste, une période d’incertitude culturelle.

Pourquoi avoir choisi Ramsey Nasr pour interpréter Goltzius ?

C’est un poète hollandais. Il est donc très sensible aux mots, à la manière de les
prononcer, de jouer avec. A la fin du XVIe siècle, la prononciation était forcée,
ce qui explique son accent curieux et excentrique.

Les dialogues ont-ils été post synchronisés ?

Non tout a été tourné live. Nous avions beaucoup d’acteurs et de figurants
italiens. Je voulais un casting international à l’image de l’Europe multiculturelle
de la fin du XVIe siècle.

Comme dans chacun de vos films, la musique est très présente dans
Goltzius et la Compagnie du Pélican…

Je désire une bande son très riche, aussi riche que l’image. Dans mes films la
musique est toujours répétitive, comme mes scénarios. Il est toujours question
de la récurrence des faits, des humeurs ou des sentiments.
Mes goûts musicaux sont liés à la musique minimaliste des années 60.
Michael Nyman, avec qui j’ai travaillé de nombreuses fois, Philip Glas avec qui
je monterai un opéra l’an prochain. Le compositeur de Goltzius et la Compagnie
du Pélican, Marco Robino et le groupe turinois Architorti appartiennent à une
nouvelle génération de musiciens minimalistes.

Où Goltzius et la Compagnie du Pélican a-t-il été tourné ?

En Croatie. Nous étions en coproduction avec la Croatie, qui nous avait offert
d’utiliser des décors. Mais quand nous sommes allés à Zagreb, nous avons
recherché, sans jamais le trouver, un palais du XVIe siècle. Et puis nous
sommes tombés sur cette gare de triage avec son atmosphère étrange, très
photogénique.

Goltzius et la Compagnie du Pélican fourmille de références culturelles,
picturales ou musicales, littéraires ou historiques.

J’ai envie de faire en sorte que ces codes soient visibles à l’écran. L’Occident
est fort d’une longue culture visuelle. Peut-être que la plupart des gens sont
devenus ignorants et se fichent de cette culture, mais j’ai envie de les ouvrir
à ces codes, pour ensuite développer une sémiotique visuelle, de sorte que
“Le Déjeuner sur l’herbe” de Monet ou “Les Demoiselles d’Avignon” de
Picasso soient des références au même titre que Molière ou Shakespeare.
Ces notions, ces codes sont le B.A.BA de la communication. Et Ramsey Nasr,
dans le rôle de Goltzius, ne cesse de rappeler à votre mémoire tel ou tel tableau :
il nous enseigne l’Histoire de l’Art. Nous ne pouvons ignorer notre héritage
artistique.

Propos recueillis par Donald James, juillet 2013

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