Phèdres calcinées de désir par Isabelle Huppert à l’Odéon
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Phèdre(s) De Wajdi Mouawad, Sarah Kane, J.M. Coetzee Mise en scène de Krzyszof Warlikowski Avec Isabelle Huppert, Agata Buzek, Andrzej Chyra, Alex Descas, Gaël Kamilindi, Norah Krief, Rosalba Torres Guerrero Jusqu’au 13 mai 2016 Du mardi au samedi à 20h, dimanche à 15h Relâche le dimanche 1er mai Tarifs : de 6 à 40 € Réservation en ligne Durée : 3h10 avec entracte Odéon-Théâtre de l’Europe M° Odéon |
Jusqu’au 13 mai 2016 puis en tournée à Clermont-Ferrand, Londres, au Luxembourg et en BelgiqueOn le savait, Isabelle Huppert peut tout jouer avec incandescence. Elle irradie au cinéma, elle brûle au Théâtre de l’Odéon qui l’invite en star régulièrement. En ce moment et pour deux mois, la comédienne incarne la plus insolente des héroïnes tragiques, Phèdre, réécrite par trois auteurs contemporains : Wajdi Mouawad, Sarah Kane et J.M. Coetzee sous la direction du metteur en scène polonais Krzysztof Warlikowski. C’est toute la question, qui n’appelle dans ce spectacle aucune réponse rationnelle. Plongeant dans les tragédies d’Euripide et de Sénèque, Racine l’a dépeinte en figure féminine provocante, bravant l’interdit de l’inceste en focalisant sa passion sur son beau-fils Hippolyte. Et si Phèdre a encore tant de succès aujourd’hui, c’est bien qu’elle catalyse, grâce au génie de Racine, la violence d’un désir féminin bafoué par l’ordre social et moral masculin, celui de Thésée, son époux et maître. Wajdi Mouawad est parti à la recherche des origines de la fille de Minos et de Pasiphaé pour découvrir une jeune libanaise perdue dans le marasme sanglant d’un Moyen-Orient barbare et misogyne. C’est Aphrodite donc, Isabelle Huppert, perruque de pin-up blonde et talons démesurés, corps de gamine moulé dans un justaucorps de dentelle noire, qui nous raconte l’histoire originelle. Mais nous ne sommes pas chez les Grecs : c’est l’Orient tout entier qui chante cette histoire par la voix de Norah Krief en rockeuse arabe sexy pour dire la complainte amoureuse de l’Égyptienne Oum Kalsoum. Entre les deux femmes au micro, la danseuse Rosalba Torres Guerrero déploie son long corps sensuel dans d’incroyables postures qui appellent au désir du spectateur comme dans un long peep-show offert en public. Cabaret ou scène de théâtre ? On ne sait pas exactement où on est et de quoi cela parle. L’Odéon offre à ces héroïnes un immense cube ouvert d’une patine blanchâtre avec douche et lavabo, immense lupanar 5 étoiles éclairé par Felice Ross, une scénographie qu’on a hélas trop vue. Chez Wajdi Mouawad et sa détresse archaïque et sauvage, on entend les cris de Phèdre qu’Œnone (Norah Krief) ne peut même pas consoler, prostrée qu’elle est, en nuisette blanche aux côtés d’Hippolyte ou le Chien (Gaël Kamilindi), sur un lit métallique et clinique, dans une scène où les deux amants se jurent un amour adolescent et éternel. À la fin, l’héroïne désespérée se pend à un robinet pour réapparaître dans le monde hyper moderne de l’auteur anglais Sarah Kane, suicidée à 28 ans. Dans la cage en verre où se heurte le désir de sa belle-mère, le jeune Hippolyte bedonnant (Andrzej Chyra) avale des bonbons en se masturbant devant la scène de la douche de Psychose d’Hitchcock qui passe en boucle sur l’écran de sa télé. La violence du désir de Phèdre, ici en bourgeoise rose pastel, implorante comme une vierge, précipite la scène dans un chaos pervers où le cynisme du garçon alourdit la souffrance de l’héroïne. Au diable tabous et conventions, le théâtre ici révèle, grâce à la sonorisation des acteurs et aux gros plans en vidéo (Denis Guéguin), l’intime le plus profond des êtres embringués dans leurs obsessions les plus inavouables. Qu’elle incarne la Phèdre de Wajdi, Libanaise maudite par l’Histoire, la bourgeoise européenne frustrée et totalement immorale de Kane ou Elizabeth Costello, l’intello perchée héroïne du roman de Coetzee, Isabelle Huppert magnétise son auditoire par un talent hors norme, d’une sobriété et d’une fluidité confondantes. Capable de tout, elle allie l’authenticité d’un jeu cinématographique à l’intensité dramatique d’une bête de scène à l’énergie impressionnante. Et si on peut être réservé quant à la cohérence d’un spectacle qui ressemble trop à un puzzle de projections fantasmatiques, on est bien obligé d’admettre l’immense talent d’une comédienne à la présence et à l’inventivité remarquables. Durant plus de trois heures de spectacle et quelques tenues délicatement portées, signées Dior, Givenchy ou Hedi Slimane pour Saint Laurent, elle parvient à nous mener par le bout du nez, c’est-à-dire à nous subjuguer. Hélène Kuttner [Photos © Pascal Victor] |
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