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VERSUS une proposition de Rodrigo García au Théâtre du Rond-Point

14 octobre 2009
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Versus

Entretien

Pourquoi ce titre, Versus ?
Rodrigo Garcia : Il s’agit de combattre. Combattre depuis l’intérieur du système. C’est un combat philosophique et poétique financé par l’argent public. À mes débuts, pendant dix ans, je finançais moi-même mes créations. Par la suite et jusqu’à maintenant, j’ai fait appel à de l’argent public, à des subventions, comme tant d’autres artistes. C’est pour cette raison qu’à l’origine, mon théâtre était plus poétique et plus abstrait – ce que j’ai fait de 1989 à 2000 et que le public français ne connaît pas. Je n’avais de comptes à rendre à personne. Par la suite mon théâtre est devenu plus accessible. Mais, aujourd’hui, je crois que je me suis trompé. Peut-être était-ce beaucoup plus efficace sur le plan de l’action politique de fouiller dans le poétique et l’obscur. En fin de compte c’est ça qui manque à la société actuelle, de l’audace et de l’incertitude, du mystère et de la poésie.

 

Justement au début du spectacle, il est dit que chacun doit exprimer à voix haute et fortement ce qu’il pense ou ce dont il rêve sans jamais avoir osé le faire ou le dire. Mais il est dit aussi qu’au fond une oeuvre théâtrale devrait cacher les choses, ne pas les dévoiler et ne jamais exprimer nos sentiments. De quel côté de ces deux tendances penche votre théâtre ? Quelle stratégie met-il en place face à cette contradiction ? Est-ce qu’il choisit entre les deux ou au contraire l’idée est-elle de ne pas tant choisir un côté ou un autre que d’exploiter la tension qui se fait entre ces deux tendances ?
R. G. : Cette tension accompagne toujours ou, en tout cas, devrait toujours accompagner chacun de nos actes. Que devons-nous faire : jouer, dire ce que nous pensons, rester en retrait ou prendre parti ? À moins que toute action, tout effort soit vide, soit inutile ? Est-ce que nous parlons pour améliorer quelque chose ou seulement pour qu’on nous écoute ? Parler et jouer sur une scène se résument-ils alors à un acte simplement égocentrique consistant à s’affirmer ? Pourtant nous sommes des êtres humains ! Et nous croyons à la dialectique ! Mais s’agit-il là véritablement de dialectique ? Il me semble qu’on parle beaucoup trop et que cela ne produit que très peu d’améliorations dans la vie quotidienne. On parle beaucoup au Parlement, au Sénat, au supermarché, dans les théâtres… mais rien ne s’améliore dans la vie quotidienne. Peut-être parce que l’on parle sous la bannière du consensus et de la modération ; deux idées que j’abhorre avec celle de bonne éducation, qui est sans aucun doute la pire de toutes.

 

Jamais vous n’avez parlé autant que dans Versus de l’amour et de la mort. Il s’agit certes de thèmes évidents, mais en même temps difficiles à traiter. D’où vient tout d’un coup cette nécessité de parler ainsi de l’amour et de la mort ?
R. G. : L’âge, peut-être. J’ai 45 ans. En réalité je suis plus jeune que lorsque j’avais 18 ans ! Quand j’avais 18 ans, j’avais le cerveau d’un homme de 70 ans ! Il n’y a sans doute pas de thème plus tripatouillé que l’amour : dans les chansons, dans la mauvaise littérature, dans les navets de cinéma… Alors pourquoi ne pas parler d’amour d’un point de vue à la fois nihiliste et plein d’espoir ? Nous avons tendance à mettre à la place de Dieu… les autres. Après quoi nous nous rendons compte que tout comme Dieu, les autres n’existent pas. Et nous sommes déçus. Nous pensons que les autres n’existent pas, du moins à la façon dont nous aimerions qu’ils existent. Chaque individu existe pour lui-même. Croire que quelqu’un va nous consacrer une minute de sa vie de manière désintéressée est un idéal dangereux. Cela conduit à la déception. Et de là au suicide.

 

« Seule la vulgarité nous attire »… C’est ce que dit le singe qui apparaît en dessin animé dans le spectacle. Ce singe a un côté hip-hop, mais en même temps une autorité inquiétante qui pousse le gens à obéir ou à suivre leurs impulsions les plus basses. Qui est ce singe ? Que représente-t-il ?
R. G. : Le singe c’est Dieu. Et il ne faut pas croire en ce singe, en Dieu. C’est un Dieu qui possède les mêmes caractéristiques que le Dieu chrétien : il menace continuellement, il châtie et invoque l’enfer. Il faut tuer le singe de Versus.

 

Dans ce spectacle il y a sur scène des chanteurs de flamenco et un groupe de rock. À ma connaissance, c’est la deuxième fois qu’il y a des musiciens sur scène dans un de vos spectacles. C’est important, cette présence des musiciens dans la trame du spectacle ? Qu’attendiez-vous de leur part ?
R. G. : En fait, ça nous est arrivé très souvent de jouer de la musique sur scène. Beaucoup de mes créations (une trentaine) ne sont pas connues du public européen. Elles ont été jouées seulement à Madrid à partir de 1989. La musique l’intéresse comme une RÉALITE autre à l’intérieur de la grande fiction faite de RÉALITES que sont mes spectacles. J’ai choisi les musiciens de flamenco en faisant de larges auditions à travers l’Andalousie. Nous avons écouté beaucoup de chanteurs et finalement nous en avons gardé deux. Je les ai choisis sans avoir la moindre idée de la forme que prendrait le spectacle ; sans savoir ce que j’allais leur demander de faire sur scène.

 

On parle maintenant depuis plusieurs mois de la crise financière et économique. On ne parle presque même que de cela. Or votre théâtre est connu pour sa critique acerbe et profondément ironique de notre société de consommation. Que pensez-vous de cette crise ?
R. G. : En effet, j’ai toujours tenté de heurter tous ces gens qui aujourd’hui peuvent être des victimes de la crise actuelle. Des gens comme moi. Leurs vies continuent et elles ne m’intéressent pas ; parce qu’ils continuent d’avoir des échappatoires et à trouver de quoi subsister. Si la crise c’est ne plus aller au restaurant chaque semaine ou ne pas pouvoir s’acheter une nouvelle voiture ou faire attention à ne pas trop dépenser, cela ne m’intéresse pas. Cette crise concerne ceux qui ont l’assurance de vivre dans une société merveilleuse. Et ceux-là m’importent peu. Ceux qui m’intéressent, ce sont les autres, c’est-à-dire ceux qui depuis toujours se font baiser la gueule. Ceux-là ne souffrent pas de la crise, ceux-là se font niquer toute leur vie durant.

VERSUS
Rodrigo García

Lumière : Carlos Marquerie
Son : Marc Romagosa
Costumes : Belen Montoliu
Animation : Cristina Busto
Vidéo : Ramon Diago
Musiques : Tape, Chiquita y Chatarra, David Pino, David Carpio
Direction technique : Roberto Cafaggini
Chargées de production : Monica Cofiño et Mariate Garcia
Photographe : Christian Berthelot

Avec :
Patricia Alvarez
David Carpio
Amelia Diaz
Ruben Escamilla
Juan Loriente
Nuria Lloansi
David Pino
Daniel Romero
Victor Vallejo
Isabel Ojeda

Du 18 au 22 novembre 2009 à 19h30
Dimanche, 15h

Tarifs :
– Plein tarif : 33 euros
– Tarifs réduits : groupe (8 personnes minimum) 20 euros / plus de 60 ans 24 euros / demandeurs d’emploi 16 euros / moins de 30 ans 14 euros / carte imagine R 10 euros

Réservations au 01 44 95 98 21, au 0 892 701603 et sur www.theatredurondpoint.fr

Théâtre du Rond-Point, salle Renaud-Barrault (745 places)
2 bis, avenue Franklin D. Roosevelt
75008 Paris
Métro : Franklin D. Roosevelt (ligne 1 et 9) ou Champs-Élysées Clemenceau (ligne 1 et 13)

www.rodrigogarcia.es

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