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Raqib Shaw – galerie Thaddaeus Ropac

29 février 2012
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Galerie Thaddaeus Ropac

L’accrochage de ces dessins comme en expansion sur le mur semble évoquer cette superposition de merveilles, d’objets de curiosité et de vanité exhibés sur les dressoirs tels qu’ils sont représentés dans les wunderkamer des princes de la Renaissance ou les peintures du Veronèse. Le spectateur pénètre dans l’espace de la galerie comme il entrerait dans la salle d’un château où le festin serait dressé, invitation de l’artiste au rêve et au voyage à travers l’art et ses références. Celles-ci empruntent à un imaginaire puissant mêlant des personnages mythologiques à mi-chemin entre l’homme et l’animal, évoluant dans des environnements précieux et fantastiques, naturels et ciselés comme des pièces d’orfèvrerie.

À partir de son œuvre Paradise Lost en 2011, les figures anthropomorphes à tête d’oiseau, de crocodiles ou encore de tigre, à mi-chemin entre le dieu et le héros, manipulent des coupes ornées à pied en forme de griffon, des aiguières à anses en col de cygne et d’autres coupes avimorphes. Inspiré du style Empire caractéristique de l’art européen et plus particulièrement français du début du XIXe siècle, Raqib Shaw a alors commencé à créer un univers qui trouve son aboutissement avec « Of Beasts and Super-Beasts », son exposition parisienne. Sous l’impulsion des commandes de Bonaparte devenu Napoléon Ier, les architectes Charles Percier et Pierre Fontaine ont su imposer un style reposant sur les règles fondamentales de l’Antiquité et de l’art romain en particulier. L’ornementation Empire est dominée par un esprit de symétrie renouant avec l’équilibre hiératique du style de Louis XIV. Le répertoire iconographique fait appel aux têtes antiques, aux victoires, aux drapés spécifiques et aux ornements symétriques et symboliques ; le cygne, les palmettes et les allégories égaient un style cependant sévère et mesuré. Ce style est diffusé à travers toute l’Europe par les deux architectes décorateurs qui ont publié le fameux « recueil de décoration intérieur concernant tout ce qui a rapport à l’ameublement (1812) ». C’est précisément cet ouvrage qui a en parti nourri l’imagination de Raqib Shaw.

Pour l’exposition de la Galerie Thaddaeus Ropac, Shaw a choisi de poursuivre cette réflexion menée sur le dessin, l’ornement, la peinture, le style et sa perception. Les dessins présentés comme une installation invitent le spectateur à considérer le décor à la fois dans le détail et dans son ensemble. Chaque dessin est tracé au trait, repris à l’encre et à la peinture puis rehaussé d’émail, de strass et de dorure. Cette esthétique précieuse est destinée à recréer un univers fantasmagorique où le mystère règne avec l’étrange et l’expérience du sublime peut conduire selon l’artiste à « l’overdose sensorielle ».

Le style de Raqib Shaw ferait presque référence au premier style Empire ; celui du Général Bonaparte revenant triomphant de l’Egypte chargé de trésors mystérieux. Les sphinges, créatures et dieux à mi-chemin entre l’homme et l’animal font alors rêver un occident qui se remet du bain de sang révolutionnaire et se prépare aux guerres napoléoniennes. On passe d’un style à l’autre en même temps que l’on passe d’une monarchie à un empire. L’Art est alors plus politique que jamais, et le style de Percier et Fontaine est la démonstration de cette nouvelle puissance. Raqib Shaw crée dans la Suite Of The Rouge Boudoir Of Beasts un univers où l’animal exprime la nature primaire de cette force sensuelle et excessive où la violence est légitime. À l’instar des figures mystérieuses de Jérôme Bosch, Shaw exprime à travers l’animal l’angoisse contemporaine d’un monde faussement policé où les instincts fondamentaux sont refoulés et soigneusement dissimulés. Il inclut dans les ornements des caractères toujours présents et actifs. Ces paradoxes sont visibles dans le détournement syncrétique des modèles d’ameublements tels que les cartels au style rigide à chapiteau de temple égyptien décorés de grecques, à guirlandes de fruits portées par des mascarons à tête de bélier (titre du dessin de l’horloge). Ce mobilier, flambeaux, cratères, lustres et motifs fidèles au classicisme de l’Empire sont enrichis par Raqib Shaw de scènes animales faussement bucoliques, d’ours et de singes se livrant à des activités parodiant notre propre perception de la société et du pouvoir. Of Beasts and Super-Beasts semble dépasser la question du décoratif pour interroger le rôle de l’art dans la société occidentale. Comment l’art a t il pu servir à codifier les rapports sociaux entre les hommes ? La surenchère dans le raffinement peut-elle permettre à l’homme d’échapper à sa propre animalité ?

Raqib Shaw a quitté en 1998 l’Inde et le Kashmir où il a grandi pour Londres où il a étudié et où il réside aujourd’hui. Il est diplômé du Saint Martins College de Londres et a depuis exposé dans des expositions de groupe dont « Without Boundary » MoMA New York (2006), « Around the World in Eighty Days », ICA Londres (2006), le Suntory Museum d’Osaka, Japon (2009) et la 17ème Biennale de Sydney (2010). Ses expositions personnelles récentes incluent le Metropolitan Museum, New York (2008) et la Kunsthalle de Vienne (2009).

Un catalogue avec un texte de Norman Rosenthal sera publié à l’occasion de cette exposition.

Exposition de Raqib Shaw

Du 3 mars au 7 avril 2012
Du mardi au samedi, de 10h à 19h et sur rdv

Vernissage le 3 mars 2012

Galerie Thaddaeus Ropac
7, rue Debelleyme
75003 Paris
M° Saint-Sébastien-Froissard ou Filles du Calvaire

www.ropac.net

A découvrir sur Artistik Rezo :
Agenda des vernissages à Paris en mars 2012

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