Berlinde de Bruyckere – La chair à l’âme

Le S.M.A.K. de Gand expose des œuvres de Berlinde de Bruyckere. Une présentation exceptionnelle de la production d’une artiste hors norme, aux réalisations époustouflantes. Saluée par la critique, visitée par près de 2 500 personnes au vernissage, plus qu’un événement, une expérience à vivre, à part entière.

La chair sur l’os

Berlinde de Bruyckere est fille de boucher et de chasseur. La notion de carcasse, de dépouille, l’aspect funèbre ou macabre des corps ne lui sont pas étrangers. De cette histoire familiale, l’artiste a conçu un univers étrange, dérangeant, à deux volets : un aspect graphique relayé par les dessins, accompagnant et annonçant les installations bien qu’ils constituent déjà des œuvres indépendantes, et les œuvres plastiques, expressives et impressionnantes. Ce corpus s’articule autour de l’œuvre magistrale, Cripplewood, conçue pour le Pavillon Belge de la Biennale de Venise 2013 et réalisée à base de cire et de peinture pour figurer un gigantesque arbre abattu, mais soigné. Car Berlinde de Bruyckere, inspirée par Pasolini, travaille sur le corps souffrant, qu’elle répare et protège, grâce à des matériaux de récupération : trophées, globes de mariées, licols, câbles, clous… Le corps est ainsi toujours pris en compte dans son aspect vital, souffrant mais survivant.

Cheveux, textiles et poils

Au milieu de cet univers lisse (les corps de cire) ou rugueux (les troncs des arbres, sauvegardés dans de vieux meubles de métiers aux portes vitrées entrouvertes), l’artiste glisse une couche douce et enveloppante de matières chaudes : des couvertures, récupérées en pensionnat, de longues crinières recouvrant les visages inaccessibles, des doudous géants et pansus gisant sur des commodes. Plus loin encore, une carcasse géante de cheval, hissée et exhibée, le ventre ouvert, sans yeux. Ici encore, le visage est absent, le manque se fait sentir, le corps dans une chute lente s’effondre vers le sol. L’artiste alors intervient sur la lourdeur de la chair, pour consoler et adoucir, en pansant les plaies.

L’art immortel

Par cette démarche thaumaturge, l’artiste aboutit à un double résultat : les corps sont soignés, reprennent vie et les matériaux réinvestis dans une seconde vie confinent ainsi à l’immortalité. Les installations pourraient avoir été conçues il y a trente ans, ou hier : impossible de dater l’art et le style de Berlinde de Bruyckere. Connue en Belgique jusqu’en 2002, puis à l’international depuis, c’est la première rétrospective d’envergure de l’artiste sur son sol natal, avec des œuvres inédites. Nul doute que face à la puissance de ses œuvres, évoquant autant la beauté que la répulsion, la France n’invite prochainement la plasticienne. En attendant, aucune hésitation, cette exposition est l’événement artistique le plus bouleversant actuellement en Belgique.

Mathilde de Beaune

[Crédits : en haut, Berlinde de Bruyckere, Kreupelhout – Cripplewood, 2012-2013 ; au milieu, Berlinde de Bruyckere, Hanne, 2003 ; en bas, Berlinde de Bruyckere, J.L., 2005-2006 © Mimrjam Devriendt]