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Dorothée de Monfreid : “Les bons livres pour enfants sont une vraie littérature”

© Michel Sabah

À l’aide de ses personnages en forme d’animaux, Dorothée de Monfreid a construit un univers sensible, drôle et subtil. Elle a publié plus de cinquante-deux albums traduits en vingt et une langues notamment à l’école des loisirs, chez Gallimard, Hélium et Casterman. Elle a évoqué pour nous sa vision de la littérature pour enfants et son processus créatif. 

Pourriez-vous définir pour nos lecteurs votre métier d’autrice et de dessinatrice ? Comment articulez-vous ces deux manières de travailler différentes ? 

J’écris et je dessine à parts égales. J’ai besoin de dessiner pour mettre mes idées au clair lorsque j’écris, et j’illustre toujours moi-même mes textes. Je fais très peu de dessins de commande. Mais en tant que dessinatrice, mon imagination est d’abord visuelle, ce qui se perçoit dans mon écriture. J’aime alterner les disciplines. L’écriture me repose du dessin, le dessin me repose de l’écriture, la musique me repose de tout.

Comment avez-vous été amenée à créer des livres destinés aux enfants ? 

La littérature jeunesse est un domaine très riche dans lequel on est assez libre, en tant qu’auteur. Ce n’est pas si fréquent. C’est une des raisons qui m’ont donné envie d’explorer ce territoire. L’autre raison, c’est la rencontre que j’ai faite avec Grégoire Solotareff, auteur dont j’adore le travail, qui est devenu l’éditeur avec lequel je travaille le plus à l’école des loisirs (il dirige la collection Loulou & Cie, destinée aux très jeunes enfants). 

Les toutous à Paris © Dorothée de Monfreid / l’école des loisirs

Tous vos animaux incarnent un caractère qui leur est propre. Comment parvenez-vous à construire chacune de leurs personnalités ? 

C’est en dessinant mes personnages que j’élabore peu à peu leur caractère. Ça vient de leur façon de bouger, de s’exprimer, ça s’enrichit et se précise au fil des histoires. Je n’aime pas partir de présupposés trop précis sur eux, je préfère que ça reste vivant.

Votre œuvre est également composée de travaux destinés à un public d’adultes, comme les chroniques d’Ada et Rosie. Comment faites-vous pour distinguer ces deux genres dans votre manière de travailler ? 

Comme tout le monde, je suis traversée par des humeurs et des sentiments variés. J’ai besoin d’exprimer des choses différentes, parfois des préoccupations d’adulte, parfois des sentiments d’enfant. Je pense que nous gardons tous en nous, de façon plus ou moins consciente, la totalité des âges que nous avons traversés. Je peux passer de l’un à l’autre à ma guise, comme avec un ascenseur. Je ne change pas ma façon de travailler quand je dessine pour les enfants ou les adultes, je garde la même exigence, mais je change de point de vue.

Selon vous, quelle place les livres pour enfants occupent-ils au sein de la littérature et quelle est leur importance ? 

Les bons livres pour enfants sont une vraie littérature. Ils sont fondamentaux car ils participent à la construction de l’imaginaire des personnes. C’est une colonne vertébrale que nous gardons toute notre vie. Je regrette toujours de constater le mépris avec lequel ils ont tendance à être considérés par certains. Il y a des bons livres et des mauvais livres dans tous les genres, littérature jeunesse, bande dessinée, littérature générale, science fiction, etc…

Les toutous à Paris

Les toutous à Paris © Dorothée de Monfreid / l’école des loisirs

En janvier dernier, vous avez été présidente du Grand Jury Jeunesse au festival d’Angoulême 2020. À votre sens quels sont les éléments qui définissent un album réussi ? 

Je n’ai pas d’a priori sur ce que doit être un album réussi. Tout est possible. La qualité incontournable étant à mon avis que ce soit VIVANT. 

Quels sont les travaux qui vous touchent et qui vous inspirent dans votre travail ? 

Je suis très éclectique. J’aime beaucoup la musique et la danse, qui m’inspirent l’aspect chorégraphique de mes histoires, auquel je suis très attentive. J’adore Maurice Ravel, Leonard Bernstein, Claude Debussy, Django Reinhardt, Philippe Katerine, Chassol, Lalo Schifrin, Nino Rota, Bertrand Burgalat, Forever Pavot… Je suis également amateur de cinéma depuis l’enfance, à l’époque où ma grand-mère m’emmenait voir des films pas de mon âge (Federico Fellini, Leos Carax, Eric Rohmer, Alain Resnay, Luis Buñuel, Andreï Tarkovski…). Je lis aussi beaucoup, toutes sortes de livres (Siri Hustvedt, Philip Roth, Eugène Ionesco, Fiodor Dostoïevski, Virginie Despentes, Robert Crumb, Riad Sattouf, Marion Montaigne, Posy Simmonds, Claire Bretécher…)

Pour finir, avez-vous des conseils à donner à nos lecteurs confinés avec leurs enfants ? 

Je n’ai de conseil à donner à personne. Chacun fait comme il peut. Je trouve la situation  difficile à vivre pour les familles, surtout quand les enfants sont petits. Il y a tant à faire à la maison. C’est compliqué de réussir à conserver son équilibre quand on n’a plus aucun moment de solitude, plus d’espace mental. 

Sinon, ma contribution pour un confinement réussi avec des enfants, c’est une nouvelle rubrique que j’ai créée sur mon site web, Les Jeux des Toutous, dans laquelle je poste deux fois par semaine, chaque mercredi et chaque vendredi, un dessin à compléter et colorier. Ces jeux sont disponibles en français ici et en anglais juste là. On peut aussi les retrouver en allemand sur le blog des éditions Reprodukt en cliquant ici

Propos recueillis par Valentine De Gobbi

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