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Ibrahima Ndome et son collectif Ndokette responsabilisent la photographie de mode dans une exposition à la Cité internationale des arts

Alexandre Parodi 30 décembre 2021
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Ibrahima Ndome © Théo Pitout

Lauréat de la première édition du prix Ellipse, récompensant les créations d’artistes des pays d’Afrique subsaharienne ou d’Asie, Ibrahima Ndome et son collectif Ndokette créent à l’intersection entre photographie, textile et installation. Après plus de six mois de résidence à la Cité internationale des arts, le jeune artiste trouve sa voie dans un subtil équilibre entre tradition et avant-garde. 

On dit souvent que la mode est éphémère. Pour Ibrahima Ndome, c’est le contraire. Plus un vêtement vieilli, plus il est beau. Pour trouver l’inspiration, l’artiste autodidacte puise autant chez les tailleurs de rue de son pays le Sénégal que chez les nouvelles générations qui électrisent la capital, Dakar, où il vit depuis 2013. Avec ses deux collaborateurs, Safi Niang (artiste, styliste et modèle) et Souleymane Bachir Diaw (artiste, photographe et réalisateur), ils forment le collectif Ndokette. Tous les trois considèrent le champ vestimentaire comme un terrain de jeu illimité : installation, récupération, assemblage (d’objets et matières récupérés), performance, leurs créations prennent toutes les formes, même si le plus souvent, elle aboutit aboutit à des photographies. Des compositions solaires, où ils jouent des codes de la mode et interrogent en passant les écosystèmes sénégalais, où ciel et mer se rejoignent. Le prix Ellipse reçu en juin dernier a été pour eux l’occasion de prolonger leurs recherches en France, leur offrant une de résidence de trois mois à la Cité internationale des arts de Paris. Fruit de cette exploration, une exposition intitulée And Session se tient au même endroit jusqu’au 10 janvier.

Safi Niang, Souleymane Bachir Diaw et Ibrahima Ndome © Théo Pitout

Avez-vous toujours voulu travailler dans la mode ? 

Après une licence en communication et affaires internationales, je ne savais pas trop quelle voie je souhaitais prendre. Je me suis alors tourné vers la mode, en tant que modèle, en 2014. C’était – et c’est toujours – un moyen de m’exprimer à travers mon corps. Quelque temps après, j’ai commencé à mettre en pratique ma passion pour les vêtements à travers le stylisme. Depuis, je travaille régulièrement avec des magazines sénégalais pour leurs campagnes éditoriales, aussi bien devant l’objectif que derrière, en tant que styliste.

Quel est votre rapport aux vêtements  ? 

Je dirais que c’est un rapport nostalgique. Je collectionne et conserve beaucoup d’habits anciens. Je m’intéresse à leurs coutures, leurs coupes, leurs broderies, aux tissus… Aujourd’hui, ces habits sont pour moi des indicateurs, ils me permettent d’en savoir plus sur les inspirations des époques passées. Lorsque je pense de nouvelles créations, j’essaie à mon tour de faire en sorte que mes vêtements ou mes tenues racontent une histoire. 

Une conception qui s’oppose au rythme effréné de la fast fashion…

Un des artisans tailleurs avec qui je travaille souvent m’a dit un jour : “… ndax yérré bi nitt yi gënnë ñakal fayda moy yérré bi ëpp yërmandé ci ñun. (En français : “… je trouve qu’on a tendance à négliger les tissus qui nous font du bien…”). Il faisait référence ici aux tissus traditionnels en fibre naturels et cousus à la main ; le coton, le mayluss ou le lin par exemple. Je suis d’accord avec cette vision du vêtement. Avec le temps et l’effet de l’eau, du soleil, des saisons, un boubou deviendra plus souple, plus adapté au corps qui le porte. Dans la production de masse, c’est le contraire qui se produit : l’habit s’éloigne du corps, il devient un corps étranger. Aujourd’hui, nous ne nous donnons pas le temps de penser nos habitudes vestimentaires sur le long terme, ce qui est dommage. 

© Théo Pitout

Dakar est une grande source d’inspiration pour vous ?

Je suis très sensible à mon environnement immédiat, quotidien. Mes créateurs préférés sont les tailleurs de rues, ou ceux du marché de Colobane (situé en plein centre de Dakar, il regroupe une communauté de travailleurs textile : tailleurs, marchands ambulants, vendeurs de friperie, confectionneurs de d’accessoires…). Ils sont à l’écoute des changements vestimentaires et définissent les tendances et les influences à venir pour une grande partie de la population. Avec le collectif nous fouillons aussi beaucoup dans nos photos de famille pour trouver des idées. 

Diriez-vous que la scène artistique de Dakar est en plein essor ?

Si je prends les domaines dans lesquels j’évolue, la mode et la photographie, la scène artistique est très diversifiée. Elle a une portée et une production locale avec une tendance à s’internationaliser notamment via Internet. Cependant, elle reste invisible aux yeux de ceux qui ne peuvent pas avoir accès à cette diffusion. Et puis il y a toute une part de cette nouvelle scène qui n’est pas professionnelle, donc peu médiatisée.

Qu’est-ce qui fait que votre travail dépasse les frontières ? 

Je me contente d’exprimer des expériences et des émotions qui me sont chères. En réalité, d’un pays à l’autre, on parle très souvent des mêmes choses mais de manières différentes, dans des contextes différents. Je crois que les sensibilités se croisent assez facilement.

© Théo Pitout

Durant votre résidence à la Cité internationale des arts, vous explorez le thème de la futurologie. Comment définissez-vous cette notion ? 

Selon le collectif et moi, le futur a déjà commencé : nous occupons un écosystème, nous le modifions par notre présence et nous produisons un ensemble de conséquences sur l’avenir. C’est pour cela qu’il est aussi un présent. La thématique que nous suivons durant notre résidence,  “Un futur présent”, revient à se demander : Que se passe-t-il ?  Où voulons-nous aller ? Ce sont les questions que nous voulons aborder dans nos créations.

Différenciez-vous l’art de la mode ?

Je ne suis pas un grand fan de la séparation. Je pense que ce qui est le plus important est de s’exprimer, de raconter des histoires auxquelles le monde pourrait s’identifier. La mode est de plus en plus consciente et apporte dans certains cas un véritable point de vue sur le monde. 

Pour suivre leur travail :

Exposition And Session à découvrir jusqu’au 10 janvier à la Cité internationale des arts

Propos recueillis par Alexandre Parodi

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