Jean-Léon Gérôme – musée d’Orsay
Parmi cet ensemble qu’on qualifie bien facilement de « sclérosé » avec une moue dédaigneuse, Jean-Léon Gérôme se distingue d’un Cabanel aux peintures mythologiques suaves par une incroyable vitalité tout à fait moderne. Ce n’est donc pas tant la peinture académique dans son entièreté qu’il s’agit ici de réhabiliter qu’une œuvre particulière bien plus visionnaire que réactionnaire.
Gérôme se forme dans l’atelier du peintre romantique Delaroche et devient dans les années 1840 le chef de file de l’éphémère mouvement des néo-grecs, qui défend une vision archéologique de l’histoire basée sur l’observation rigoureuse des œuvres antiques. Gérôme ne se départira jamais de cette approche minutieuse du réel qu’il développe à partir de travaux photographiques extérieurs, notamment lors de ses multiples voyages en Orient. Sa peinture est graphique, presque géométrisée par des aplats de couleurs vives et ponctuelles qui viennent réveiller une composition rigoureusement construite.
La grande originalité de Gérôme est d’associer constamment ce grand formalisme à une profonde psychologie des personnages. Le portrait de l’architecte Charles Garnier laisse transparaître la profonde amitié qui le liait au peintre; le front assombri de la tragédienne Rachel répond au masque grimaçant qui, posé à ses côtés, donne la mesure de son désespoir. De cet attachement à la figure humaine et à l’anecdote, Gérôme insuffle à ses compositions historiques une légèreté voisine des peintures de genre, pratique pourtant reléguée au dernier échelon dans la hiérarchie des représentations par l’Académie.
La peinture, art du temps
Peintre d’Histoire et d’histoires, Gérôme est avant tout un grand narrateur. Ses compositions jouent sur la suggestion des instants qui précèdent et suivent l’action représentée. Pollice verso évoque aussi bien le combat rude qui a opposé les deux gladiateurs que la mise à mort prochaine du vaincu, matérialisée par les pouces baissés de la foule haineuse qui ont donné le titre au tableau. C’est bien de plan qu’il faut parler ici pour une œuvre aux accents proprement cinématographiques, à tel point que le film Quo Vadis ? d’Enrico Guazzoni en 1912 en reprendra exactement les cadrages.
Le cinéma est un art du temps mais aussi de l’espace, déclarait Eric Rohmer dans son essai Le Cinéma, art de l’espace. Gérôme utilise cet espace de façon très personnelle, travaillant la sculpture illusionniste polychrome en parallèle de ses toiles, et jouant dans ses peintures sur une esthétique de collage qui démarque les personnages du fond pour une reconstitution réaliste du fantasme. Autant d’oxymores pour définir cette démarche a priori paradoxale, mais qui correspond bien à ce que promettra le cinéma à ses grandes heures hollywoodiennes : une précision naturaliste appliquée aux imageries idéalisées des contemporains.
Savamment menée, cette exposition permet de découvrir la richesse d’un univers pictural injustement dénigré, et offre quelques pistes de réflexions sur les rapports qu’entretiennent la peinture et le cinéma.
Viviane Saglier
Jean-Léon Gérôme, l’Histoire en spectacle
Du 19 octobre 2010 au 23 janvier 2011
Le mardi, le mercredi, le vendredi, le samedi et le dimanche de 9h30 à 18h
Le jeudi de 9h30 à 21h45
Fermeture tous les lundis et les 1er janvier, 1er mai et 25 décembre
Vente des billets jusqu’à 17h, 21h le jeudi, évacuation à partir de 17h30, 21h15 le jeudi
Plein tarif : 8 euros // Tarif réduit : 5,50 euros
Musée d’Orsay
1, rue de la Légion d’Honneur
75007 Paris
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