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Thierry Groensteen : “Une vie ne suffirait pas à faire le tour de la bande dessinée”

Quentin Coutanceau 15 juin 2020
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© Thierry Groensteen

Il est un des théoriciens les plus importants du 9ème art. Thierry Groensteen nous explique pourquoi il s’intéresse autant à la recherche dans la bande dessinée et ce qui le pousse à continuer.

Pourriez-vous vous présenter ?

Je suis d’origine belge, né à Bruxelles. Je lis de la BD depuis mon plus jeune âge. J’en ai fait un petit peu moi-même en amateur. J’ai fait des études de journalisme, qui m’ont conduit à collaborer comme critique à des revues consacrées au 9ème art. Je suis devenu le rédacteur en chef de la revue Les Cahiers de la bande dessinée. Je suis venu ensuite à Angoulême, où j’ai participé à la création du Centre National de la Bande dessinée et de l’Image. Je suis aujourd’hui le plus ancien dans la “maison”. J’y ai dirigé le Musée de la Bande dessinée dont j’ai constitué une grande partie des collections. J’ai pris ensuite la tête de la revue 9ème art, qui existe aujourd’hui en version numérique (NeuvièmeArt2.0). J’ai beaucoup écrit sur l’histoire et la théorie de la bande dessinée, qui sont des matières que j’enseigne également à l’École Européenne Supérieure de l’Image.

Quel est votre rapport à la bande dessinée ?

Je pensais plutôt écrire de la littérature. C’est un peu le hasard des circonstances qui m’ont spécialisé. La BD était un des domaines qui m’intéressait, mais pas d’avantage qu’un autre. La vie décide pour vous quelquefois. J’ai eu la possibilité d’écrire, en 1980, un livre sur le dessinateur Tardi. Il a été remarqué et m’a ouvert des portes. Je me suis laissé spécialiser dans la bande dessinée. Plus on pense connaître un sujet, plus on découvre qu’il y a des zones entières qui demandent encore à être explorées. Je n’aime pas écrire deux fois sur les mêmes sujets, j’ai peur de m’ennuyer, j’ai tout le temps besoin de me renouveler en changeant d’objet d’études ou d’approche. C’est pourquoi je me suis promené dans toute l’histoire de la bande dessinée. Je ne voulais pas être le spécialiste d’un sous-domaine dans la BD. Ce qui m’a intéressé, c’était de prendre le phénomène par tous les bouts possibles.

Vous êtes théoricien, pourquoi travailler dans la recherche ?

Je crois que c’est simplement le résultat d’une tournure d’esprit. Lorsque j’aime quelque chose, j’ai plaisir à l’analyser, le décortiquer pour comprendre comment cette chose-là fonctionne. À l’époque où j’ai commencé à écrire sur la bande dessinée, la théorie était encore dans ses balbutiements, il y avait déjà quelques ouvrages parus, mais encore beaucoup de questions n’avaient pas encore été traitées. Et pour pouvoir parler intelligemment des bandes dessinées qui m’intéressaient, je n’avais pas les outils nécessaires à ma disposition. J’ai donc éprouvé le besoin de les forger moi-même, de me créer ma boîte à outils. C’est comme ça que j’en suis venu à écrire de la théorie.

Vous avez dirigé les Cahiers de la bande dessinée, qu’est-ce qui vous a poussé à en prendre la tête ?

C’est une revue qui existait depuis longtemps, mais qui était un peu à bout de souffle. La formule ne me satisfaisait pas. Chaque numéro était un dossier consacré à un auteur. Avec quelques proches qui écrivaient également, nous déplorions qu’il n’existait pas à l’époque de revue dans laquelle nous pouvions publier d’autres approches, d’autres études, nous étions coincés dans cette formule. Comme je voyais que la revue était en perte de vitesse, j’ai proposé à l’éditeur de prendre la rédaction et de transformer la revue de fond en comble pour en faire une grande revue d’étude et d’actualité de la bande dessinée.

Vous avez énormément écrit, vous avez dirigé beaucoup d’expositions. Pour vous, qu’est-ce qui est important dans ce travail de valorisation ?

Je dirais que la situation de la BD n’est plus du tout la même aujourd’hui qu’il y a 40 ans, lorsque j’ai commencé à travailler sur le sujet. La bande dessinée était plutôt mal vue par les milieux éducatifs et les élites intellectuelles ; il y avait une dimension presque militante dans le fait d’écrire sur la bande dessinée, des préjugés à vaincre et des forteresses à prendre. Aujourd’hui, le 9ème art est reconnu. Ce qui m’anime maintenant c’est surtout de faire partager ma passion.

Aujourd’hui vous travaillez au sein de la Cité Internationale de la Bande dessinée, pouvez-vous nous raconter votre travail au quotidien ?

À la Cité, j’ai deux missions : la rédaction en chef du site NeuvièmeArt2.0, pour lequel j’écris des articles et je réunis des contributions d’autres collaborateurs, ainsi que la conception d’expositions. J’organise aussi ponctuellement des journées d’études, des colloques etc. Les expositions me prennent beaucoup de temps, en général elles sont programmées deux ans en avance. Sans compter que certaines d’entre elles circulent dans d’autres lieux et il faut les accompagner dans la durée, assurer la suite de leur carrière. Les après-midis, je suis chez moi, je me consacre à l’écriture et à mon travail d’éditeur. Je dirige une collection chez Actes Sud.

Avez-vous fait le tour de la BD ?

Une vie ne suffirait pas à faire le tour. Je viens juste de terminer un essai théorique sur le rapport de la bande dessinée et du temps. Cette question du temps n’avait pas beaucoup été traitée, je me suis dit que j’allais prendre le sujet à bras le corps. Je fais aussi actuellement des recherches sur un journal créé en 1898, l’Illustré national, qui est paru jusqu’à la fin des années 1920. Cela a été un journal très important dans l’histoire de la bande dessinée et pourtant il n’a fait l’objet d’aucune étude à ce jour, car il n’a été conservé quasiment nulle part. Ce qui m’intéresse, c’est d’identifier des zones d’ombres, des sujets qui n’ont pas encore été traités, je veux voir si je peux y trouver quelque chose d’intéressant.

Pour plus d’informations, visitez le site de Neuvième Art 2.0 ou le site personnel de Thierry Groensteen

Propos recueillis par Quentin Coutanceau

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