Un voyage au Pays d’Arcadie au musée des Beaux-Arts de Bordeaux

Isabelle Beccia, docteur en histoire de l’art à l’Université Bordeaux Montaigne, nous propose un voyage méditatif à travers sa dernière exposition, Conte au Pays d’Arcadie. Une exposition en 11 étapes qui présente 42 œuvres, jusqu’alors stockées dans la réserve du musée des Beaux-Arts de Bordeaux. L’exposition, visible jusqu’au 13 juin prochain, est une belle occasion de découvrir des tableaux habituellement non vus du public, ainsi que tout un nouveau monde.

En partenariat depuis plus de six ans avec l’hôpital psychiatrique de Cadillac ainsi que celui de Villenave d’Ornon, Isabelle Beccia amène le musée hors des murs et participe activement à l’accès à l’art et à la culture pour toutes et tous. À l’aide de cours d’histoire de l’art et d’ateliers créatifs, les patients des deux hôpitaux ont ainsi pu écrire ensemble un conte tout droit tiré de leur imagination, après avoir vu les 42 œuvres de l’exposition Conte au Pays d’Arcadie. 

À partir des œuvres qu’ils ont préféré parmi les 42 exposées, les patients écrivent un conte autour de ce qu’ils imaginent de l’Arcadie : un monde idéal. Une manière touchante de les écouter, de les aider à travers l’écriture et le partage, et de comprendre un peu mieux leur monde. De plus, chaque auteur possède sa propre vision des choses, ce qui rend les deux contes caractéristiques de leur imagination et personnalités. À l’aide d’un narrateur, les patients de l’hôpital de Cadillac racontent le voyage et la découverte d’une jeune fille en Arcadie. Une histoire optimiste, qui fait rêver et contrebalance avec le conte de l’hôpital de Villenave d’Ornon, dont le texte raconté à la première personne est plus sombre et personnel. Les visiteurs sont particulièrement touchés par les mots des patients et les deux contes suscitent de nombreuses questions. 

“J’ai été très étonnée par la différence d’approche entre le premier et le second conte. Le récit est plus triste et mélancolique dans le second. J’y ai ressenti plus d’émotions, même si j’ai beaucoup aimé les deux. J’ai adoré travailler sur l’Arcadie, avec toutes ces scènes remplies d’harmonie, comme si c’était un trésor secret.”
Valérie, une patiente de l’hôpital de jour de Cadillac

Mais qu’est ce que l’Arcadie ? 

Utopie, monde parfait aux paysages bucoliques, qui s’inscrit dans un environnement d’enchantement et d’éternité où le travail et la guerre n’existent pas, mais où règne la nature. Depuis des siècles, cette thématique a plongé les artistes dans la recherche de ce refuge parfait. Des tableaux comme celui de Théodore Caruelle d’Aligny, Paysage avec l’enfance de Bacchus, nous transportent dans le voyage arcadien et nous invitent à rêver à une paix éternelle. 

D’abord située dans la région montagneuse du Péloponnèse, l’Arcadie a su imposer ses idéaux à l’Antiquité classique et a continué, jusqu’à notre siècle, à inspirer écrivains, poètes, peintres, musiciens…

Paysage avec l’enfance de Bacchus, de Théodore Caruelle d’Aligny

Un sujet qui n’a pas été choisi au hasard

“Nous sommes aujourd’hui imprégnés de plus en plus d’événements négatifs, comme la situation sanitaire, la crise écologique, la guerre… Il me semblait donc intéressant, voire nécessaire, de pouvoir offrir un moment de rêve et de paix à tous les visiteurs de l’exposition.”
Isabelle Beccia, commissaire d’exposition

Incendie d’un port la nuit, de Pierre-Jacques Volaire

Parmi les onze chapitres de l’exposition, nous découvrons la section “L’Arcadie Menacée”. Nos yeux sont alors directement attirés par les couleurs chatoyantes de l’œuvre de Pierre-Jacques Volaire, Incendie d’un port la nuit. Des flammes impressionnantes entraînent tout un port à devenir cendre dans les prochaines heures. L’Arcadie est bel et bien menacée ici, la paisible routine des habitants est chamboulée et il s’avère que même ce qui semble être parfait ne peut le rester indéfiniment. Isabelle Beccia a soigneusement sélectionné des œuvres dans les stocks du musée des Beaux-Arts de Bordeaux qui illustrent parfaitement cette dégringolade de l’Arcadie comme peut le vivre notre monde. 

“Et in Arcadia ego” : même en Arcadie j’existe 

On retrouve cette phrase inscrite sur le tombeau et lue par les bergers du célèbre tableau éponyme de Nicolas Poussin, un artiste très aimé d’Isabelle Beccia. Ici, c’est le sujet de la mort qui prend la parole car oui, même en Arcadie la mort existe.

Reproduction du tableau de Nicolas Poussin, Les Bergers d’Arcadie (1637), par Girault Alcide

La recherche du bonheur et la question de la mort sont des sujets qui animent naturellement les hommes. Cette exposition est ainsi un moyen de nous évader quelques instants à travers des paysages idylliques, tout en nous faisant méditer sur notre monde actuel. 

Le travail fait avec les patients des deux hôpitaux a permis à ces derniers de s’exprimer sur leur recherche de l’idéal et la façon dont ils pouvaient l’interpréter. Isabelle Beccia les invite ainsi à rêver et à trouver un équilibre serein.

“Les ateliers ont individuellement aidé les patients à s’évader et à créer un lien plus fort entre eux. J’ai senti à quel point il était important pour eux de partager leurs idées et de participer à l’exposition sur un même pied d’égalité.”
Léa El Motamri, stagiaire d’Isabelle Beccia durant la rédaction des contes 

Jusqu’au 13 juin prochain, visitez l’exposition et découvrez cette somptueuse Arcardie de multiples façons : visite classique, regards croisés, ateliers, performance dansée, procès fictif, visite slamée ou encore accompagnée de musiciens…

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