Almanya – film de Yasemin Samdereli
Cenk Yilmaz, garçonnet de six ans, ne sait plus qui il est, quand il se voit refuser sa participation à un match de football de son école, à la fois, par ses petits camarades turcs et ses camarades allemands. L’incident tombe à pic : son grand-père Hüseyin, arrivé à la fin des années 60 en Allemagne après le millionième immigré turc, prend de court tous les membres de sa famille en annonçant qu’il vient d’acheter une maison de vacances en Turquie, et qu’il compte sur leur présence à ses côtés pour un prochain voyage au pays natal.
Co-écrits par Yasemin et Nesrin Samdereli, deux sœurs d’origine turque, qui se sont largement inspirées des récits familiaux, Almanya a choisi résolument le ton de la comédie pour s’interroger sur ce qui fait l’essence d’une identité. La mise en scène n’épargne donc pas les dialogues truculents ou les astuces humoristiques de scénarios (comme l’invention d’un langage spécial pour les allemands dans les réminiscences du passé de Huseeyin le patriarche, afin de mettre le spectateur dans la peau d’un nouvel arrivant qui ne comprend pas la langue du pays d’accueil), pour évoquer avec légèreté les péripéties de la vie des immigrés. Les réunions familiales donnent la part belle à des scènes de disputes et de réconciliations, où les grandes interrogations existentielles de chacun sont examinées à la loupe de l’autodérision. A dessein, le film a voulu éviter le mélodrame pour conter l’épopée de tous ces travailleurs trucs arrivés par vagues massives à partir de 1964 en Allemagne afin de renflouer une industrie en panne de main-d’œuvre.
Narration d’une double quête – celle d’un avenir meilleur et de l’identité dans un nouveau chez-soi – le film emboîte les époques et les différents récits, avec un résultat plus ou moins inégal : les images poétiques des paysages d’Anatolie réussissent à retranscrire la beauté de la terre des ancêtres que certains membres de la famille découvrent pour la première fois. Et les séquences dépeignant le choc des cultures en Allemagne (la mère qui trouve la tenue de la voisine d’immeuble plus qu’indécente ou les enfants effarés devant un passant promenant son chien) sonnent particulièrement juste. En revanche, dès qu’il s’agit à proprement parler d’évoquer les conséquences de l’immigration des anciens sur la vie des nouvelles générations turques, ou bien la place de celles-ci dans la société allemande et leur identité (unique, double ?), le film pèche par excès de superficialité. On aurait voulu que certaines problématiques effleurées (quid de la place du conjoint anglais de Canan, et pourquoi le petit Cenk Yilmaz ne parle- t-il pas le turc …) aient été davantage creusées.
Plus qu’un film sur l’immigration et l’intégration – ou pas – d’un individu dans son pays d’accueil, «Almanya » s’avère être une réflexion plaisante sur la place de chacun dans son histoire familiale. En définitive, la jeune génération, à défaut d’avoir trouvé son identité, tâtonne en se raccrochant à la figure tutélaire du patriarche.
Roxane Ghislaine Pierre
[embedyt] https://www.youtube.com/watch?v=CGru3goYqyc[/embedyt]
Berlinale 2011 (du 10 au 20 février)
- Sélection officielle – Hors-compétition
Prix du cinéma allemand (Deutscher Filmpreis) (le 8 avril)
- 2 prix : Lola d’argent et Lola du meilleur scénario
- Nominations : Lola d’or et Lola de bronze
Almanya
De Yasemin Samdereli
Avec Avec Şiir Eloğlu (Leila Yilmaz),Kaan Aydogdu (Muhamed),Vedat Erincin (Huseyin),Ercan Karacayli (Muhamed Yilmaz) et Rafael Koussouris (Cenk Yilmaz)
Durée : 101 min.
Sortie le 30 mai 2012
A découvrir sur Artistik Rezo :
– les films à voir en 2012
Articles liés

Orelsan et “Yoroï” : un nouvel art de se raconter
Avec Yoroï, Orelsan dépasse la musique pour façonner un univers cinématographique dense et personnel. L’artiste brouille les frontières entre fiction et réalité pour mieux se réinventer. Un tournant qui redéfinit sa place dans la culture contemporaine. Un peu plus...

“Détail d’un vase grec à figures rouges”, du théâtre déconstruit à l’Athénée
Ce spectacle n’est pas un spectacle. Ou peut-être que si ? En tout cas, ce n’est pas un spectacle. Inscrits avec humour dans une démarche de déconstruction de la représentation théâtrale, Flavien Bellec, Étienne Blanc, Clémence Boissé et Solal Forte...

L’adaptation du conte “Poil de Carotte” à l’Athénée Théâtre
À rebours d’une adaptation littérale du conte cruel de Jules Renard, Poil de Carotte, le trio Flavien Bellec, Étienne Blanc et Solal Forte s’appuie sur l’expérience de l’humiliation portée par le roman pour déconstruire la représentation théâtrale. Entre geste...





