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“Juste la fin du monde” : imprévisible, saisissant, puissant

Juste la fin du monde est un film réalisé par Xavier Dolan en 2016, initialement adapté de la pièce contemporaine de Jean-Luc Lagarce, et raconte un drame familial. Les retrouvailles de Louis, 34 ans, écrivain, avec sa famille lors d’un dîner après 12 ans d’absence, et ce afin d’annoncer aux siens sa mort prochaine. 

Seul dans un avion, la voix de Louis (interprété par Gaspard Ulliel) s’exprime sur sa solitude, sur les années qui passent et sur le temps. Un temps qui ne se rattrape pas, jamais. La raison de son retour est troublante, mais il n’en reste pas moins conscient de la réalité, ainsi il n’y a plus de place pour l’illusion : “Rattraper le temps perdu, non. Prévenir du temps qui reste.”

Un dîner de famille : la réalité brute 

Le spectateur se retrouve au cœur de ce huis clos, et se questionne sur sa propre famille, sur les choix cornéliens de sa vie. La mise en scène porte sur le langage :  dilater le langage comme on arrêterait le temps, c’est ambitieux, et à la hauteur de ce que nous présente Xavier Dolan. Le message du film est présent dans les gestes, dans les silences, dans les regards, dans les mots conséquents et inconséquents, dans les excès de l’entourage familial.

La vie pourrait se résumer à une série d’étreintes, de retrouvailles, de désirs, de rêves perdus, de pardon, de reproches, de secrets. Le réalisateur nous met face à une réalité brute, celle du vide créé par une trop longue séparation. Celle-ci s’exprime essentiellement par une grammaire cinématographique chère au réalisateur : celles des drames familiaux, entre amour et haine.

L’atmosphère presque hystérique qui entoure Louis est celle des dîners de famille, non ceux d’ordinaires mais ceux dont on ne se souvient que trop et qui ravivent les rancœurs. On se retrouve face à un Vincent Cassel écorché vif, une Marion Cotillard repliée voir naïve, une Léa Seydoux marquée par l’absence, une Nathalie Baye exaltée.

L’outrance de l’incommunicabilité

L’héritage culturel Lagarcien est respecté dans son intégralité, notamment avec l’omniprésence de dialogues phatiques, où l’on parle pour ne rien dire, pour taire l’essentiel. Les dialogues et monologues témoignent de l’incompréhension et de la frustration des années de silences, et de retour soudain, sans explication. Les membres de la famille vivent ce retour avec une fragilité, une force, une complexité étourdissante.

Un rôle difficile de par la promiscuité et la nervosité des personnages

La nervosité se traduit par la promiscuité des personnages ; celle-ci exprime en réalité des sentiments profonds, pouvant paraître superficiels ou inutiles, et sur lesquels ils n’ont aucune emprise.

L’utilisation des gros plans nous laisse fébrile et le spectateur a un sentiment d’intrusion, tant les émotions sont vivaces et brutes, tant la réalité oppresse. Comment échapper à cette famille ? Impossible, Dolan crée une tension constante, qui s’avère être difficilement supportable de par la puissance des scènes et des plans serrés, tendant vers l’asphyxie.

Les gens crient dans la vie, ils perdent le total contrôle de ce qu’ils pensaient être acquis, ils mentent et utilisent des détours pour échapper aux révélations de leurs proches. Le réalisateur s’approprie les imperfections humaines et les magnifie ingénieusement en saisissant à la perfection les expressions, qui, au contact de la caméra, se révèlent être sublimes.

Les souvenirs : une escapade perpétuelle 

Dans une maison où tout le monde s’entend et où personne ne s’écoute, le spectateur s’évade dans la mémoire de Louis : des souvenirs d’enfance resurgissent comme une pause à l’excitation collective.

Les membres de la famille ne s’adressent que rarement à Louis, comme s’il commençait déjà à disparaître,  devenant peu à peu le souvenir de chacun.




Juste la fin du monde est un film obsessionnel, profondément humain et ambitieux. Une réalisation bouleversante qui saisit la vie, ses vérités, ses caprices, son inquiétante fatalité. C’est ici, précisément, que le film trouve sa singularité : réunir les êtres pour mieux les séparer. Les personnages sont dévorés par l’amour inconditionnel qu’ils portent à Louis, qui se trouve être un fils, un frère, un beau-frère. Dolan présente l’agonie d’une famille ordinaire, avec l’exubérance et lyrisme diluée par la lumière chaude, brûlante du soir, qui vient en fin de film, arracher Louis aux siens.

Isabelle Capalbo

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