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Marguerite et Julien : Valérie Donzelli imprime la légende

8 décembre 2015
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Marguerite et Julien

De Valérie Donzelli

Avec Jérémie Elkaïm, Anaïs Demoustier, Frédéric Pierrot, Aurélia Petit, Raoul Fernandez

Durée : 1h43

Pour son cinquième long métrage, Valérie Donzelli raconte le fol amour d’un frère et d’une sœur incestueux dans un beau film jeune, moderne, aux accents légendaires et au charme suranné.

Il y a chez Valérie Donzelli un amour de ce qui ne se fait pas, de ce qui ne se fait plus au cinéma. Pour autant, dans ses films, on ne ressent jamais de nostalgie douloureuse, de passéisme douteux ; au contraire, si les moyens utilisés sont parfois datés, le cinéma de Valérie Donzelli est toujours moderne, audacieux, et par là même terriblement rafraîchissant. Car si l’on postule que la réalisatrice de La Guerre est déclarée, Main dans la main et désormais de Marguerite et Julien aime ce qui ne se fait pas, c’est aussi au sens de la retranscription du tabou, de l’interdit qu’il faut l’entendre. Et jamais elle n’aura aussi bien exprimé son goût pour la transgression qu’en filmant ce conte atemporel des amours maudites entre un frère et une sœur, Marguerite et Julien de Ravalet.

C’est une légende que se racontent en frissonnant les pensionnaires rougissantes d’un couvent ou d’un orphelinat. C’est un conte dit par une voix off distanciée. C’est une épitaphe sur une tombe qui laisse entendre le caractère honni de leur histoire. Mais est-ce une histoire vraie ? Le film ne cesse de jouer sur cette ambi381855guïté, sur la frontière ténue entre légende et Histoire, sur la mince barrière qui sépare les faits de l’imaginaire et surtout sur la distance entre passé et présent.

Car le récit est ancré dans une étrange temporalité, où l’on reconnaît les objets de notre quotidien, mais où l’on vit dans une société monarchique désuète ; où les costumes semblent tantôt familiers, tantôt sortis des réserves d’un musée. Où et quand nous trouvons-nous ? On ne le saura jamais vraiment, mais au fond, ça n’a pas d’importance, puisque comme le constate amèrement l’abbé de Hambye, oncle des amants interdits, “l’inceste restera toujours un crime”. Le propos de la réalisatrice n’est de toute façon pas d’excuser, de juger ni même d’expliquer cet amour fusionnel entre frère et sœur, mais simplement de le raconter et, plus encore, de s’attacher à la manière dont leur récit se transmet. La forme du conte ou de la 145268légende est alors le vecteur idéal de ce récit, car quelle forme narrative dit mieux que le conte ou la légende la fascination et la répulsion qu’inspirent certains faits et gestes depuis la nuit des temps sur la psyché humaine, ce qui, depuis toujours et dans toutes les civilisations, est considéré comme le Mal ou le Bien ? Ainsi, Peau d’Âne ne raconte pas autre chose qu’un inceste. Ainsi, Œdipe se creva-t-il les yeux pour avoir tué son père et épousé sa mère. Ainsi, des fictions contemporaines telles que Game of thrones continuent-elles de proclamer l’horreur de ce tabou. Le pari de Valérie Donzelli n’est alors pas d’interroger la frontière morale imposée à travers toutes les sociétés sur la sexualité, sa recherche n’étant pas vraiment psychanalytique, mais de dire l’indicible.

Et force est de constater qu’elle le dit extrêmement bien, avec une poésie des moindres détails qui confère au récit un charme suranné, mais jamais ringard. L’autrefois et l’aujourd’hui se rencontrent, se côtoient aussi bien à l’image, dans des effets un peu démodés comme les ouvertures ou fermetures à l’iris, mais aussi dans le récit aux dialogues parfois trop ciselés pour qu’on les reconnaisse comme contemporains. Les dialogu381074es sont eux-mêmes servis par des acteurs qu’on ne saurait trop louer, que ce soit les têtes d’affiche Jérémie Elkaïm (indispensable partenaire d’écran de Valérie Donzelli) et Anaïs Demoustier ou les seconds rôles ; il faudrait tous les citer tant ils excellent. Mentionnons tout de même encore Frédéric Pierrot, visage connu du grand écran mais injustement peu identifié par le grand public, la subtile Catherine Mouchet et le toujours exceptionnel et devenu trop rare Sami Frey. Les plans léchés, aux couleurs fortes, transportent les personnages immédiatement dans l’ailleurs symbolique d’un univers féérique mais affirment aussi l’importance de la valeur esthétique dans le récit cinématographique. Le cinéma de Valérie Donzelli est créatif et se construit dans le fragile équilibre entre ce qui est raconté et les moyens mis en œuvre pour le faire ; c’est un cinéma qui ne s’efface pas derrière son sujet, mais qui ne l’étouffe pas non plus. Un cinéma jeune, émouvant et qui cherche des formes nouvelles. Un cinéma qui fait du bien.

Raphaëlle Chargois

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[Photo © Céline Nieszawer, 2015 Wild Bunch Distribution]

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