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Virginie Despentes – Interview – Bye bye Blondie

23 mars 2012
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Virginie Despentes - Interview - Bye bye Blondie

Virginie Despentes - Interview - Bye bye Blondie::

En adaptant au cinéma votre roman Bye Bye Blondie, vous opérez un important changement : l’histoire d’amour passionnelle que vous racontez passe d’un couple hétéro à un couple lesbien, dont les héroïnes sont incarnées par Emmanuelle Béart et Béatrice Dalle. Comment les producteurs ont-ils accueilli ce changement ?

Virginie Despentes :
Quand ils ont lu le scénario, ils n’étaient pas extrêmement fous de joie… Parce que ce n’étaient pas des vrais producteurs de cinéma au départ, c’étaient deux camarades qui voulaient produire le film : un rugbyman, extrêmement sympathique mais qui n’était pas préparé psychologiquement à ce qui allait lui arriver, et un homme d’affaires italien. Donc dans un premier temps, en vérité, ils n’étaient pas contents. Mais ça leur est passé très vite. Au début, on aurait dit qu’ils le prenaient personnellement, comme si je les attaquais… Mais j’y croyais tellement, moi, à ce projet ! Enfin, je ne sais pas si je les ai convaincus tant que ça, puisqu’après j’ai changé de producteurs…


Qu’est-ce qui pouvait tant gêner les producteurs à votre avis ? Ce n’est pas un film diffusable à la télévision à 20h30 ?

Virginie Despentes : Oui, déjà, dans leur tête, ce n’était sans doute pas un film qui peut passer à 20h30. Et puis surtout, pour eux, c’est bien quand les actrices ont 30 ans maximum. Vraiment. Au fur et à mesure de la fabrication du film, j’ai constaté que les décideurs étaient toujours majoritairement des hommes, et, dans leur tête, le cinéma n’a pas l’usage de femmes de plus de 30 ans à l’écran. Quand bien même ce serait Béatrice Dalle ou Emmanuelle Béart ! Ils ont toujours tendance à penser qu’au niveau des actrices, on peut avoir la même chose en plus jeune, et que c’est beaucoup mieux. Du moins c’est comme ça que je l’ai vécu, et je ne crois pas que ce soit exceptionnel.


Mais le film pourrait passer à 20h30 !


Virginie Despentes :
Pour moi, oui, il pourrait sans problème passer à 20h30. Mais par exemple, là, on a passé le visa de censure, mais avec un avertissement au jeune public. C’est-à-dire qu’il faut avertir le jeune public de ce qu’il risquerait de voir : deux femmes en train de s’embrasser, parce que c’est tout ce qu’il y a ! Il est super chaste ! Même par rapport à certains dessins animés. Il n’est pas violent, ne comporte pas de rapport à la nudité ou au sexe. Il est super visible, même par des petits enfants. Et il y a quand même un avertissement au jeune public, et cet avertissement, en somme, c’est : « Attention, il y a des lesbiennes ! »

C’est un rôle assez inhabituel pour Emmanuelle Béart que celui que vous lui proposez. Béatrice Dalle, on l’imagine très bien tout de suite dans ce type de rôle, mais Emmanuelle Béart ne véhicule pas du tout le même type d’image. Comment était ce, de travailler avec des actrices qui dégagent des choses aussi différentes ? Comment les avez-vous guidées ?

Virginie Despentes : Elles sont super ! Déjà, Emmanuelle, elle a une image un peu erronée, parce qu’en réalité, elle fait beaucoup de choses différentes, beaucoup de films difficiles. Je pense par exemple à Vinyan ou à celui avec Harvey Keitel à New York, de celui qui a fait Marie Baie des Anges…  Enfin bref, elle fait des films beaucoup plus difficiles que l’image qu’on a d’elle, elle se met beaucoup en danger, Emmanuelle. Je ne sais pas pourquoi elle a cette image hyper policée parce que ce n’est pas du tout quelqu’un qui se préserve, qui a peur, qui ne joue que dans des films confortables. Ma compagne de nuit, par exemple, ce n’était pas du tout un film confortable pour elle non plus. C’est vraiment une grande comédienne.
Et du coup elles sont très différentes, mais je n’ai pas trouvé ça difficile du tout de gérer l’une et l’autre. Elles ont deux façons différentes d’aborder les scènes et le travail. Ce qui aurait pu être problématique pour moi, c’est s’il y en avait eu une qui avait voulu essayer d’attirer toute mon attention au détriment de l’autre, et ça elles ne l’ont jamais fait. Elles avaient besoin de moi l’une comme l’autre, mais elles n’ont jamais essayé de s’effacer. Elles ont travaillé ensemble, même dans les camions-loge. Et Emmanuelle, c’est super agréable de travailler avec elle, déjà parce qu’elle est très respectueuse de ce qu’on lui explique – et ça ce n’est pas forcé – et qu’elle est très à l’écoute. Et puis elle est complètement d’accord pour faire n’importe quelle connerie en prépa qui me tente bien. Et ça c’est super agréable parce qu’elle est toujours partante ! Si on lui demande de marcher comme un homme toute une après-midi, par exemple, elle trouve ça super intéressant.

Jusqu’ici tous les films que vous avez réalisés sont des adaptations de vos romans. Est-ce que vous pourriez envisager de tourner quelque chose que vous n’ayez absolument pas écrit ?

Virginie Despentes : Oui, ça me plairait bien. Ca me plairait de lire un scénario, de le trouver bien, et du coup d’être vraiment dans la position de réalisatrice. Par ailleurs si je veux écrire, je peux écrire des romans, des essais autant que je veux. Si je veux les écrire, je les écrirai. Mais quand j’ai envie de réaliser un film, je n’ai pas envie d’écrire.
Par contre, en France, je trouve qu’on n’a pas une vraie tradition du scénariste. On ne le valorise pas assez. En termes de renommée, en termes d’argent, mais aussi en termes de possibilités d’écrire un scénario avec un réalisateur qui le tourne, tel quel. Si on change quatre phrases, pour moi on les change ensemble, de la même manière que je respecte le travail de ma chef-opératrice. Il ne me viendrait pas à l’esprit de lui prendre sa caméra et de lui changer trois lumières ! De la même façon, si je devais travailler avec un scénariste, ce serait pareil qu’avec la chef-opératrice : on se met d’accord avant de commencer à travailler. Si je ne suis pas d’accord, on en tient compte, mais je ne fais pas son travail à sa place. Et vraiment, jamais je ne tendrai un drap blanc, juste parce que ça me prend, comme ça tout à coup ! – Déjà jamais je ne tendrai un drap blanc ! – Mais voilà, j’aimerais bien avoir le même rapport avec un scénariste.
Mais bon, probablement que la prochaine fois que je ferai un film, ça sera encore une adaptation d’un de mes romans quand même !

A l’asile psychiatrique, Gloria défend son lecteur de disques sur lequel elle écoute Les Béruriers Noirs vraiment corps et âme. Or c’est un groupe que vous suivez depuis très très longtemps… Qu’est-ce qui vous lie particulièrement à ce groupe ?

Virginie Despentes : C’est une question intéressante. Eh bien au début des Béruriers Noirs, je devais avoir douze ou treize ans, j’ai connu ça très tôt. C’était un des premiers groupes français que j’écoutais. Et la première écoute ne m’a pas séduite absolument, mais très rapidement – ça devait être Macadam Massacre à l’époque, le disque qui venait de sortir – ça m’a vraiment hantée, accompagnée. Et j’ai commencé à aller les voir en concert… Au début c’était un petit groupe. Et j’ai commencé à les voir en concert de plus en plus, chaque fois qu’ils venaient à moins de 300 km ; puis à aller les voir à Paris. Et puis là tout à coup c’est devenu un gros groupe, et on était une quinzaine à les suivre partout, tout le temps. J’ai fait ça pendant une bonne année, j’ai dû les voir, en tout, une bonne centaine de fois. Et forcément, à force, je connaissais très bien le manager, Marsu, qui a été quelqu’un de très important pour moi. Parce qu’à la place d’aller à l’école, je passais des nuits entières à discuter avec Marsu ; qui était quelqu’un qui avait fait des études d’histoire chez les Jésuites, qui était beaucoup plus rigoureux que ce qu’on peut penser, qui m’a appris vachement de choses.
Et après, à force de traîner tout le temps avec eux, j’ai fini par faire partie du service d’ordre, parce qu’il fallait quelqu’un pour fouiller les filles à l’entrée. J’ai tourné avec Les Bérus pendant super longtemps du coup. Ils m’ont appris beaucoup humainement, sur ce que c’était aussi que le succès, que ce n’était pas si marrant. Que d’être le groupe qui marche le plus parmi toute une série de groupes n’est pas une position agréable finalement. Mais aussi, qu’est-ce que c’est que d’essayer de faire les choses autrement ; de se demander où on joue ; avec quelle sono ; quel groupe en première partie ; qui fait le service d’ordre ?
Ca, je l’ai appris vraiment sur le tas. Le fait de se poser des questions sur chaque situation. Comment elles se font ? Et je pense que ça m’a formée.

Dans le film, vous parlez de David Bowie, il y a beaucoup les Bérus, il y a toutes sortes de morceaux de punk et puis des choses plus actuelles comme les Babyshambles… Il y avait une volonté de continuité dans la musique ?

Virginie Despentes :
Soit de continuité, soit au contraire d’opposition. Parce qu’en gros, ce qu’est devenu le rock c’est les Babyshambles ! A la fois pour le meilleur, parce que c’est un groupe que j’adore ; et pour le pire, parce que c’est le rock Dior, le rock branché parisien ou branché londonien. C’est ce qu’est devenu le rock aujourd’hui. A la fois j’aime bien Babyshambles et à la fois c’est ce qu’est devenue cette chose qui était si importante pour nous. A l’époque, on était vraiment convaincus que c’était un mode de vie total, la musique ! Et finalement, c’est un mode de fringues huppées…
Mais il y a d’autres choses dans le film qui sont plus en continuité ; il y a beaucoup Lydia Lunch aussi. Parce que c’est comme si finalement Babyshambles, c’était le monde de Frances et si Lydia Lunch, c’était le monde de Gloria. Lydia Lunch elle a cinquante ans, elle n’a pas changé d’un iota sa façon de faire, et ça lui  réussit plutôt bien. Aujourd’hui, c’est une position plutôt cool que d’être Lydia Lunch.

Justement, que reste-t-il du punk aujourd’hui, dans la musique d’aujourd’hui ?
Virginie Despentes : Eh bien Lydia. Fantasio, qui joue le rôle du père [de Gloria] dans Bye Bye Blondie. En fait, c’est un musicien très politisé, très engagé, un peu fou, et que je crois assez brillant performer. Lui, il découle directement de la culture punk par exemple.

Le hip hop a-t-il hérité de cet esprit ?

Virginie Despentes : Le hip hop ? Alors ça c’est un long sujet de conversation ! C’est un peu une remise en question de rien, le hip hop. Il y a une remise en question des rapports d’argent, du «  j’veux la même richesse que lui ». Mais il n’y a aucune revendication de valeur dans le hip hop, ni même de politique. A part : « Il y en a qui n’ont rien et qui veulent tout et c’est normal »… Au début ouais, il y avait bien un aspect revendicatif, mais pas depuis un bon bout de temps. Et même dans les groupes de hip hop français que j’écoute pas mal ! Ca ne rend pas le truc moins intéressant, mais ce n’est quand même pas pareil. Aux tous débuts, oui, mais contrairement au punk, les groupes de hip hop, ce sont quand même majoritairement des groupes qui ne voient pas de problème à signer avec des majors, et ça par rapport à l’esprit d’indépendance qui caractérise le punk, ça pose problème.

Propos recueillis par Raphaëlle Chargois

[embedyt] https://www.youtube.com/watch?v=k3SkoTx4auo[/embedyt]

Bye Bye Blondie

De Virginie Despentes

Avec Emmanuelle Béart (Frances), Béatrice Dalle (Gloria), Stéphanie Sokolinski (Gloria adolescente), Clara Ponsot (Frances ado), Pascal Greggory (Claude), Stomy Bugsy, Sasha Andres (Véro) et Mélanie Martinez-Llense (la serveuse)

Durée : 97 min.

Sortie le 21 mars 2012

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