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Interview avec Mila Dietrich, une magicienne noctambule de la techno

Marco FARKAS 10 mars 2022
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© studio louche

Un mardi midi ensoleillé, je retrouve dans un patio du 18e arrondissement de Paris Mila Dietrich, une jeune productrice française offrant une techno au groove planant, consommée autant par les mélomanes nocturnes à la recherche d’exutoire musical que les lève-tôt du dimanche en quête de motivation.

D’où viens-tu Mila ? 

J’ai grandi à Marseille et depuis trois ou quatre ans, je suis basée à Paris, plus particulièrement dans le 93, même si je continue de passer du temps à Marseille. 

Comment se crée ton affinité pour la musique ? 

J’ai toujours baigné dans la musique. À dix ans, j’ai eu un gros crush sur la batterie puis ensuite j’ai eu plusieurs groupes de rock/punk. Le problème plus tard, c’est que ça n’allait pas là où je voulais que ça aille. En parallèle, j’ai commencé à sortir et à découvrir la techno, plus particulièrement la minimal. Ça a été un vrai coup de cœur.
J’ai cherché à savoir comment ça se décortique en autodidacte, puis j’ai composé sur Ableton. C’est à partir de là, vers 19 ou 20 ans, que j’ai laissé la batterie de côté pour me lancer en solo dans la techno. 




Voilà ce qu’on peut lire à propos de ta musique : “une techno sombre et intense puisant son inspiration dans la musique industrielle, la techno underground”, “entre techno, minimal, trance, ambiant et dark Wave” ou sur ton Instagram “bringing punk rock to the techno game”. Comment définirais-tu la musique que tu produis ? 

Mon style a bien évolué depuis que j’ai commencé, maintenant je reviens à mon premier amour, la minimal. C’est un son qui m’a obsédé, qui m’a forgé. À côté de ça, j’aime bien la techno trance et la techno ambiant à la Aphex Twin, et puis j’essaie toujours d’ajouter mon background rock metal punk. 

Comment pourrais-tu nous décrire la scène électro marseillaise ? 

À Marseille, la scène électro et techno a bien évolué. On voit arriver pas mal de nouveaux crews comme Métaphore collectif qui font des soirées très sympas ou encore les soirées queer LGBT du collectif Mouillette. Mais le problème, c’est que ça manque de lieux, c’est souvent les mêmes endroits : cabaret aléatoire, l’embobineuse, le méta, baby club et d’autres lieux ponctuels qui accueillent des festivals. Marseille, ça bouge beaucoup l’été et on voit apparaître de plus en plus de festival mais c’est pas ça qui fait vivre une scène musicale. Ça manque de lieux où tu peux venir tous les week ends et kiffer. J’ai l’impression que c’est un peu un circuit fermé. C’est aussi pour ça que je suis allée voir ailleurs, maintenant j’apprécie encore plus revenir jouer à Marseille. 

À tes débuts, tu as eu une synchro avec l’Oréal, tu peux nous en dire davantage à ce sujet ?

Je n’aurai jamais le fin mot de cette histoire… Mon pote manager a reçu un mail de l’Oréal disant qu’ils étaient tombés sur une track de moi sorti en auto prod (même pas masterisée) et ils nous ont fait une proposition de synchro. Nous on n’y connaissait rien, j’avais pas d’éditeur, ça m’a permis de me familiariser avec ces questions-là mais ils ont quand même fait une très belle affaire ! Et moi j’ai vite contacté un éditeur. Ça fait aussi du bien d’être reconnu par une grosse structure, ça m’a fait me dire que la musique, ça peut être un vrai métier, j’ai pris en confiance et ça a rassuré mes proches.

En 2019, tu remportes le BPM Contest, fameux tremplin parrainé par Vitalic, Pedro Winter, etc. Qu’est-ce que t’a apporté cette expérience ? 

C’est un tremplin centré sur les musiques électronique. Ma pote Sarah Zinger l’avait gagnée en 2018 et elle m’a motivée pour y participer. L’année suivante j’ai participé et remporté le tremplin, l’édition parrainée par Arnaud Rebotini. C’était une bonne expérience, car le BPM, c’est aussi un label : quand tu gagnes, tu signes avec eux pendant un an. On a été très actifs pendant un an, j’ai rencontré mon booker actuel. Ça reste un bon tremplin qui, en peu de temps, te fait rencontrer beaucoup de gens. Et puis c’est un tremplin qui se focalise sur l’électro et ça c’est un bon point. Il existe d’autres dispositifs qui ont l’air super efficaces comme le Printemps de Bourges ou Ricard Live Music mais ils mélangent tous les styles et je trouve ça parfois ingrat en tant qu’artiste, d’être jugé face à autant d’esthétiques différentes.
Le défaut c’est que chaque année, le tremplin reprend avec d’autres artistes, ils ne peuvent pas faire du suivi à long terme. Entre temps, il y a eu le premier confinement et j’ai décidé de tout arrêter avec eux pour m’auto-produire et reprendre le contrôle. Et c’est comme ça que j’ai sorti mon album en total indé en juin 2021.
Le tremplin c’est bien mais c’est pas une fin en soi, on peut très bien s’en passer. Le problème c’est que certaines personnes misent tout dessus et se découragent dès lors qu’elles ne sont pas retenues. Il ne faut pas mettre trop d’attente sur ce genre de dispositif. 

Au sujet de ton premier album, en plus d’affiner ton style et ton identité, qu’est-ce qui t’a permis d’extérioriser You Should Save Me Soon  ?

Le contexte général était plutôt décadent, les confinements, l’ambiance pesante du Covid, et tout ce côté “deep”, j’ai voulu ressortir rapidement la douleur que j’avais pour que ça se ressente le plus possible dans l’album.
Avant, je me mettais beaucoup la pression autour de mon premier album mais au final, ce contexte m’a permis de le faire sans même y penser. J’ai réussi à tenir mon style tout au long des dix tracks de manière plutôt cohérente, je suis assez fière de l’identité que j’ai mise dedans.
Ma musique s’inspire beaucoup du cinéma. Dans cet album, c’était l’esprit Joker qui fut le plus représentatif de ce que je ressentais. J’aime imaginer une identité, une direction dans mes projets et ce sera le cas dans mes futurs albums.  




En booking dans l’agence bretonne Wart, tu es aussi dans l’agence Marsatac sur la partie management artistique. Qu’est ce que cela t’apporte d’être entourée de professionnels pour t’aider dans ta carrière musicale ? 

Je n’ai pas toujours été bien entourée ; aujourd’hui, j’ai l’expérience pour connaître les différents aspects de l’industrie musicale, car j’ai déjà fait les choses seule. Je suis donc capable de savoir si je suis bien entourée et surtout si les gens sont raccords avec mon projet.
Wart, je voulais travailler avec eux avant même de les rencontrer, gros respect pour eux.
Avec Marsatac, c’est la première fois que je signe un contrat de management en bonne et due forme, je suis assez contente. Avoir une équipe qui t’aide à développer des idées, des stratégies et à décrocher des fonds pour tes projets, c’est ce que je recherchais. En plus, ça me permet de garder un pied à Marseille via l’agence.
Puis les éditions, c’est super important pour ma gestion administrative et l’argent quoi. 

Au sujet de tes tournées, comptes-tu t’ouvrir vers l’international maintenant que le contexte le permet davantage ?

Même si j’adore tourner en France, j’ai envie de bouger, voir ce qui se fait ailleurs, rencontrer de nouveaux publics, de nouvelles cultures. Ce week-end je vais faire ma première aux US dans une boîte à Miami.

Tu vas régulièrement en studio en ce moment, quels sont tes projets à venir ? 

J’essaie d’aller souvent en studio, de pousser à fond les collabs. Cet été, j’ai envie de m’enfermer en résidence dans le Sud pendant deux mois pour refaire un disque. J’ai aussi envie de refaire un clip qui raconte une histoire, et laisser à un ou une réalisateur.trice une marge de liberté. 




Sinon on a un projet de live avec mon pote producteur Ghost Dance. On s’est rendus compte qu’on partageait le même univers, qu’on aimait le même genre de techno et qu’on avait le même background rock métal. On est en train de monter un plateau de soirée qui s’appellera “dark and stormy”, avec un univers propre qu’on proposera à des salles et des clubs. Sur ce projet, on invitera nos potes La Croix la Bannière. 




La scène électro évolue et se féminise, comment tu vois cette évolution dans les prochaines années et tu dirais quoi à une jeune artiste qui veut se lancer dans la musique ? 

C’est bien parti pour qu’on soit de plus en plus nombreuses, les programmateurs et les organisations commencent à être sensibilisés sur ces questions de parité parce que honnêtement, c’est pas les meufs qui manquent chez les artistes. J’espère qu’on arrivera à cette parité, j’ai envie d’y croire, je suis optimiste.
Mon conseil pour les meufs c’est d’oser, de foncer et d’avoir confiance en soi, on a assez de barrières culturelles comme ça pour ne pas oser. 

Propos recueillis par Marco Farkas

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