A Chaillot, le Groupe Grenade dans un « Roméo et Juliette » dansé et slamé

Aller voir danser des ados, voire des enfants? A Chaillot? Et comment! Pas n’importe lesquels par ailleurs, mais le Groupe Grenade, genre de pépinière des futures vedettes en danse contemporaine. Grenade, d’abord une école, puis une compagnie, s’est imposée dans le paysage chorégraphique en conservant toute la vitalité initiale de la « nouvelle danse ».

En 2012, Grenade fêtait ses vingt ans en présentant un programme pour lequel quelques-uns des plus grands chorégraphes contemporains transmettaient aux jeunes d’Aix/Marseille des extraits de leurs chorégraphies phares. Jugez vous-mêmes, il s’agit d’Angelin Preljocaj, Jean-Christophe Maillot, Philippe Decouflé, Jérôme Bel, Jean-Claude Gallotta, Abou Lagraa et Michel Kelemenis!

Le spectacle anniversaire est allé jusqu’au Théâtre de la Ville et les jeunes formés par Josette Baïz, chorégraphe de la Compagnie Grenade, ancienne icône de la compagnie de Gallotta, sont devenus des vedettes malgré eux. On se les arrache, carrément.

En ce moment, ils sont en train de créer « Guests », un nouveau programme fort d’extraits transmis par Hofesh Schechter, Lucinda Childs, Rui Horta, Alban Richard, Wayne McGregor… Plus personne ne refuse de travailler avec ces jeunes qui saisissent à peine à quel point on apprécie leur talent, leur énergie, leur maîtrise!

Mais avant de les retrouver dans ce bouquet exquis, laissons-les nous emporter dans la passion des plus célèbres amants de la littérature mondiale. En 2013, a créé, dans le cadre de Marseille Provence 2013, capitale européenne de la culture, une version de « Roméo et Juliette » qui recentre l’argument sur la relation entre les deux amants tragiques et fait interpréter les rôles-titre par des jeunes du même âge que celui que leur donne Shakespeare, à savoir seize ans au grand maximum!

Leur jeunesse ne fait que souligner l’aspiration à la vie et à l’avenir qu’incarnent les jeunes amoureux, prêts à mourir par amour. Dans ce « Roméo et Juliette », relevons surtout les solos fulgurants de Louna Delbuis Roy, une amoureuse toute feu toute flamme. Explosivité et désespoir résonnent avec force dans une gestuelle articulée et musicale à la fois, qui peut emprunter aux combats de rue autant qu’à l’infinitude de la passion.

L’univers de la rue reste présent quand ils slament des textes de Frédéric Nevchehirlian, poète et compositeur qui anima des ateliers d’écriture sur Roméo et Juliette. Tel un chœur antique, ils accompagnent les protagonistes et commentent leurs envolées. Les textes déclamés avec leur regard particulier sur l’aventure Roméo et Juliette et la vie en général expriment donc directement la pensée des danseurs.

Inviter le slam dans « Roméo et Juliette » n’est autre que la suite logique à « West Side Story ». La rue, les quartiers, les gangs, tout cela est bien présent dans une réalité urbaine qui a été le berceau du projet Grenade. Baïz travaille avec des enfants de toutes origines et tous niveaux scolaires, sans exclure les élèves en difficultés. Le résultat est bouleversant.

Chez ces jeunes de sept, dix ou quatorze ans, si authentiques et bouleversants, la danse contemporaine coule de source, ou disons plutôt qu’elle jaillit, d’autant plus que les élèves de Grenade apprennent un maximum de techniques différentes. D’où une maturité dans la maîtrise de l’outil d’expression du danseur qui ne cesse de surprendre.

Si on les voit ici çà Chaillot dans un registre plutôt narratif, on les retrouvera en février au Théâtre de la Ville dans « Guests » dans un feu d’artifice qui est en même temps un panorama de la création actuelle. On y reviendra…

Thomas Hahn

[Photos: Léo Ballani]