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Aglavaine et Sélysette à La Colline, une intensité cristalline

14 mai 2014
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lacolline

Aglavaine et Sélysette

Pièce de Maurice Maeterlinck

Mise en scène de Célie Pauthe

Avec Bénédicte Cerutti, Judith Morisseau, Karen Rencurel, Manuel Vallade, et en alternance Joséphine Callies et Lune Vidal.

Du mercredi au samedi à 20 h30,mardi à 19h30, dimanche à 15h30 Durée : 2h15

Tarifs : de 14 à 29 euros, tarif unique le mardi à 20 euros

Réservations par téléphone au 01 44 62 52 52

La Colline
15, rue Malte-Brun 75020 Paris
M°Gambetta

www.colline.fr

la_collineJusqu’au 6 juin 2014

Quasiment tombée dans l’oubli, cette pièce de Maeterlinck est pourtant une étape dans l’histoire du théâtre. L’auteur, par-delà le symbolisme qui le caractérise, choisit d’opérer une avancée et d’investir le plateau par la langue et rien que la langue. Aglavaine et Sélysette, écrite en 1896, catalyse les thèmes de prédilection du poète au plus haut et évacue tout ce qui n’est pas sublime.

Il faut d’abord se féliciter que la metteur en scène Célie Pauthe ait eu l’idée et l’audace d’aller chercher cette pièce qui sonne si étrangement dans les tonalités du théâtre contemporain. Ce choix en 2014 est presque un manifeste et Célie Pauthe parvient à imposer une troublante poésie, si entière et si affirmée, qu’elle en prend une coloration avant-gardiste. Peut-être en effet que parmi les fortes créations actuelles, une place revient à cette épopée de la langue qui vole dans l’enceinte d’un monde bétonné. Aglavaine et Sélysette, tandem de prénoms anachroniques, maintient de bout en bout un souffle vacillant qui marie l’amour et la mort en dépit du monde extérieur.

La pièce s’ouvre sur le couple Méléandre et Sélysette. Unis depuis plusieurs années, ils coulent des jours tranquilles et heureux dans une maison au bord en mer, ou plutôt dans les vestiges d’un château dont une tour permet à la jeune fille de surplomber et contempler les flots. Auprès d’eux vivent une enfant, la petite sœur, et une vieille femme, la grand-mère. Sélysette en prend soin, douce, attentive et d’autant plus en démonstration de tendresse qu’elle a perdu ses parents, sans doute prématurément nous fait comprendre l’auteur. Quand Aglavaine annonce son arrivée par courrier, c’est un bonheur supplémentaire qui semble vouloir se joindre, s’ajouter, se superposer et agrandir les forces de l’amour. Jeune veuve du frère de Sélysette, Aglavaine revient au sommet de sa beauté. Tout en elle est grâce, la démarche, le débit et la longue chevelure rousse. Et tel que l’avait pressenti et déclaré Méléandre, l’amour s’ouvre à la configuration d’un trio. Portés par un rêve démesuré à l’écart et au-dessus de toutes les combinaisons bourgeoises ou conventionnelles, tous trois s’aiment et se livrent à cette grandiose aventure qui consiste à forcer les limites du couple traditionnel. Subjugués, entraînés dans le mystère de cet appel qui outrepasse l’ordre, ils s’élèvent dans des contrées de l’âme et du corps sans protection, plongeant en cette quête quitte à s’emmêler dans des introspections douloureuses ou des retours de chagrins anciens ou de failles héréditaires. Mais comme si cet élan insolent venait trop tôt, trop en avance pour ne pas se heurter à des règles, un sentiment mortifère s’infiltre et cherche à s’abattre sur celui qui sera le plus faible. Sélysette, vulnérable, ne saura pas lutter longtemps, et malgré sa volonté et son obstination à étreindre ceux qu’elle aime, les flots chaotiques abyssaux auront raison de sa fascination.

Une tension épurée

Célie Pauthe a choisi de placer les personnages dans un dispositif géométrique, brut et lisse. Dressant un monde rectiligne, ce cadre s’oppose à la souplesse des personnages qui se donnent, s’élancent, se jettent en félins fragiles les uns dans les autres. Méléandre est  habillé en pantalon blanc, Sélysette et Aglavaine sont en robes et tenues d’été qui virevoltent sobrement ou laissent apparaître la chair dans une sensualité discrète, innocente. Le texte est déroulé dans une diction qui décortique volontairement chaque syllabe et qui impose un envoûtement. La violence qui s’immisce dans les âmes ne rompt pas l’harmonie. En cela, Célie Pauthe et les comédiens parviennent magnifiquement à enlacer l’amour et la mort tel que Maeterlinck l’a écrit. Sans coupure ni rudesse. Le drame glisse dans la poésie, il s’enroule délicatement dans la folle utopie d’un amour sublime. La dernière scène qui réunit tragiquement les trois amants, est à travers l’entêtement de Sélysette à nier l’attraction de la mort, comme un testament de l’auteur : une victoire de l’amour. Peut-être y-t-il des maladresses quelquefois au cours du jeu et de la direction, mais elles viennent se caler dans l’émotion et le spectateur, dès lors qu’il se laisse traverser par le mystère de cette pièce magnifiquement ciselée par Célie Pauthe et les comédiens, est un funambule sur un fil miraculeux.

Emilie Darlier-Bournat

[Photo : Elisabeth Carecchio]

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