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Contes et légendes : Pommerat chez des robots qui nous ressemblent

Hélène Kuttner 11 janvier 2020
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©Elizabeth-Carecchio

A Nanterre Amandiers, on peut découvrir la dernière création de Joël Pommerat qui nous plonge avec une dextérité unique dans un monde feutré aux frontières de l’humain et de l’artificiel. Incarné par une dizaine de jeunes comédiennes éblouissantes qui jouent des adolescents, c’est un spectacle fascinant dont on ressort pétri de doutes et de questions.

Expériences limites

©Elizabeth-Carecchio

Dans une première scène fulgurante, deux adolescents excités interpellent une jeune fille très belle pour savoir si elle est ou non un robot. A quelle époque sommes nous ? Dans 30 ans ? Mais les vêtements sont ceux d’aujourd’hui, et le jeune ado en blouson éructe de sa voix cristalline une avalanche d’invectives à la vulgarité bien trempée, tellement crues et réalistes qu’on en rigole. Comme toujours chez Pommerat, la lumière cisèle l’espace nu et les corps, dessinant les silhouettes comme des miniatures chinoises. Les acteurs sont délicatement sonorisés. Et le réel, ici, tellement travaillé par l’artifice du théâtre, en devient cinglant de violence dans cette atmosphère douce et presque étouffante de silence et de calme.

Nos amis les robots

©Elizabeth-Carecchio

Ils sont de la dernière génération, ces robots humanoïdes qui nous ressemblent tant et s’installent dans un salon familial. Prenez Steven, bellâtre blond platine, au sourire béat. dont la gentillesse, la compassion ravit une famille dont les parents sont trop souvent absents. Loin des monstres d’acier des séries de science-fiction, ces créatures artificielles imitent en tous points les hommes, à tel point qu’on ne parvient plus, et c’est le génie du metteur en scène, à distinguer le vrai du faux. Quelles sont les relations qui se nouent, entre ces gentils robots et les adolescents qu’ils protègent ou font travailler, qu’ils écoutent sans trop parler, alors que les parents sont absents? Les stéréotypes des adolescents, des robots, d’une famille modèle, sont poussés à l’extrême tout en en faisant jaillir les dérives, la violence des enfants, la lâcheté des parents, obligés de s’adjoindre des services de la robotique pour exister.

Réalisation parfaite

©Elizabeth-Carecchio

Six mois de travail dans des lieux différents, une troupe presque entièrement féminine, de petit gabarit, à qui on donnerait 14 ans, contribuent à la magie de cette création qui joue dans le registre de l’intime, entre pudeur et violence, à la différence de la magistrale épopée révolutionnaire de Ca ira, fin de Louis, le créateur plonge au coeur des relations parents enfants, du mélange des genres, avec une mémorable scène ou des ados en manque de virilité se regonflent en testostérone verbale d’un coach qui érige le féminin en ennemi. On peut, dans ce spectacle, regretter le manque de fil conducteur, le sens d’un propos, car les tableaux se succèdent de manière impressionniste, avec des coupures noires. Mais l’incarnation magnifique des actrices, qui nous font douter constamment des êtres qu’elles interprètent sur scène, de leur genre, de leur humanité, est saisissante. L’artifice du théâtre ici, pour évoquer une jeunesse qui prend le pouvoir à la manière brutale des adultes, quand ces derniers ont tendance à s’évaporer, mérite le détour.

Hélène Kuttner

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