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“Jean-Baptiste, Madeleine, Armande et les autres…” ou le plaisir du jeu

©-Brigitte-Enguérand-coll.-Comédie-Française

A la Comédie-Française où on continue de célébrer l’anniversaire de Molière, Julie Deliquet signe son troisième spectacle après Vania et Fanny et Alexandre autour de la vie de l’artiste et de sa troupe, au moment du succès de L’Ecole des Femmes. Une création attachante et vivante en forme de clin d’œil au présent, qui gagne en intensité dans la deuxième partie.

Une troupe à son meilleur

En 1663, Molière et sa troupe obtiennent un succès inespéré avec la création de L’école des Femmes qui leur permet de renflouer les caisses et de faire vivre ces femmes, ces hommes et leurs enfants de manière confortable. C’est cette année charnière, qui voit l’auteur être en conflit avec ses détracteurs déclenchant contre lui une véritable cabale, que Julie Deliquet et ses co-autrices Julie André et Agathe Peyrard ont choisi de représenter sur scène. Cette année sont montés successivement La Critique de L’Ecole des femmes, réplique à cette attaque cinglante, puis L’Impromptu de Versailles, qui met en scène Molière lui-même dirigeant une répétition houleuse dans le domaine royal. Comment vivait la troupe au quotidien ? Selon quel mode de vie, quelle organisation familiale, conjugale, financière, la petite communauté fonctionnait-elle ? Un peu comme un collectif d’aujourd’hui, nous répond la metteure en scène, dont le riche travail d’élaboration artistique se construit avec les comédiens à partir d’improvisations. La troupe de Molière en 1663 serait un peu identique à celle de la Comédie-Française aujourd’hui, dotée d’un fonctionnement démocratique qui garantit salaires et retraites à tous, mais qui parfois, à la suite d’une décision collégiale, peut choisir d’écarter l’un de ses membres. 

Plaire ou ne pas plaire

©-Brigitte-Enguérand-coll.-Comédie-Française

C’est une question encore essentielle aujourd’hui. Quel est le rôle de l’artiste, de la comédie, du drame ? Faut-il divertir avant tout, séduire le public, ou le déranger, au risque de lui déplaire ? Dans une impressionnante scénographie conçue par Eric Ruf et Julie Deliquet, un appartement parisien aux poutres apparentes et dont l’étage, visible, découvre une coursive propice aux allées et venues incessantes des personnages, le chef de troupe Jean-Baptiste, incarné avec une belle énergie par Clément Bresson qui s’est fait la tête de Philippe Caubère dans le film Molière d’Ariane Mnouchkine, orchestre toute sa maisonnée et son entreprise. L’intendance est assurée bien sûr par Madeleine Béjart, femme de lettres et complice de Molière, que campe royalement Florence Viala, qui vaque à la fois au four et au moulin, gérant les rentrées d’argent mais aussi les peines de coeur, soufflant le texte aux comédiens qui le découvrent à peine écrit, tandis que sa soeur -ou sa fille- Armande, jouée par la délicieuse Adeline d’Hermy, virevolte et tourne autour de celui qui vient de devenir son époux et père de son premier enfant. Mais les discussions vont bon train et la Marquise, Mademoiselle Duparc, interprétée par la formidable Elsa Lepoivre, s’insurge en précieuse contre la dérive prosaïque de la comédie que l’on doit jouer chaque soir, dans une langue qui lui paraît trop commune.

Théâtre de la vie

©-Brigitte-Enguérand-coll.-Comédie-Française

Dans la première partie, on voit donc tout ce petit monde passer de la scène à la ville, comme si l’appartement communautaire en forme de ruche constituait la coulisse du plateau. Repas, discussions sur ce que l’on choisit ou pas de présenter, choix des comédiens, embrassades et engueulades constituent le coeur de l’action animée par le célèbre comédien Du Croisy, joué par Serge Bagdassarian, La Grange-Sébastien Poudéroux, Brécourt-Hervé Pierre et Mademoiselle de Brie-Pauline Clément. Malgré le talent des comédiens et la beauté du décor éclairé de vraies chandelles, c’est surtout lors de la deuxième partie que notre intérêt se mobilise, notamment durant la formidable scène de la création express de L’Impromptu de Versailles, que Molière, pressé par Louis XIV, décide de présenter en l’état, malgré l’avis des comédiens dévastés par leur manque de répétitions. Le jeu des comédiens, doublés par celui des acteurs du Français en train de jouer en improvisant leur texte devant un Jean-Baptiste fiévreux, inventant à chaque seconde une réplique, encourageant sa troupe comme un entraîneur d’une équipe de football, est une belle scène de théâtre, intemporelle et captivante. C’est cette intensité, ce mouvement, cette fièvre dramatique que l’on aurait souhaiter ressentir durant toute la représentation.

Hélène Kuttner

   

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