« La cage aux folles » ou le triomphe de Laurent Lafitte
©-Thomas-Amouroux
Triomphe annoncé pour cette fin d’année, cette nouvelle production signée Olivier Py réserve le rôle de Zaza la travestie à un Laurent Lafitte époustouflant, dans l’adaptation française de la comédie musicale américaine de Jerry Herman. Avec Damien Bigourdan dans le rôle de Georges et l’orchestre des Frivolités Parisiennes dans la fosse, le spectacle est une totale réussite.
Sur les traces de Jean Poiret

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Avec une première représentation triomphale le 5 décembre, cette production d’Olivier Py, le directeur du Théâtre du Châtelet, rend hommage à la toute première Cage aux folles montée au début des années 1970 par Jean Poiret, qui imagina avec une acuité incroyable la difficulté de créer une famille quand les deux géniteurs sont deux homosexuels qui se produisent en travestis dans des cabarets. C’est l’époque ou fleurissent les cabarets transformistes, de l’Alcazar à Michou, en passant par la Grande Eugène. Le talent de Poiret, allié avec le génie de l’acteur Michel Serrault, fait que cette pièce de boulevard ne cessa de jouer, et finit par être tournée au cinéma avec Ugo Tognazzi. Succès d’enfer avec La Cage aux folles 2 qui devient le film iconique de toute la communauté homosexuelle. Jusqu’à ce que le succès du film traverse l’Atlantique et parvienne aux oreilles de Jerry Herman : ce sera une comédie musicale, mise en musique avec claquettes et orchestre rutilant dans la fosse, et les personnages seront approfondis. Mais surtout c’est le cabaret de la Cage aux folles qui devient le décor principal, et le thème central devient la revendication à vivre sa vie comme on l’entend, de vivre avec qui on veut, avec la chanson « I am what I am ». Avec quarante d’ans d’avance, le livret mettait aussi en avant l’homoparentalité des couples qui aujourd’hui encore font face à la réprobation de la mouvance catholique traditionnelle.
Le triomphe de Laurent Lafitte

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Pour assurer la réussite de l’adaptation française, Olivier Py s’est amusé à multiplier les clins d’oeil politiques et les calembours, envers Rachida Dati dont on rit des bijoux volatilisés, d’Anne Hidalgo, présente lors de la première, dont on moque les Vélib surtout en région PACA, submergée par la vague brune des partis d’extrême droite. A ce train d’enfer là, puisque le cabaret est sis à St Tropez, les blagues s’enchaînent avec la fluidité d’une chansonnette et Laurent Lafitte apparaît comme un maître de cérémonie hors-pair, plongeant dans les rangs des spectateurs avec des oeillades enamourées, un sourire dévastateur et un bagout d’avaleur de serpent. Alors que dans la première partie, un peu longuette avec le défilé des danseurs travestis avec poitrines et talons aiguille, multiplie les parades avec un rythme effréné, entre Cabaret de Bob Fosse et girls dénudées du Lido, Zaza reste dans sa loge, c’est ensuite que le comédien, visage blafard et fantomatique, affiche sa mélancolie d’artiste face au miroir. De cette ressemblance avec Michel Serrault, l’acteur fera son miel, sa pâte, en réinventant avec une sincérité inouïe, un naturel assumé, un talent de chanteur et de danseur incroyable son personnage de grande folle et sa composition émouvante de mère. Sur l’immense escalier reconstitué par Pierre-André Weitz, qui signe aussi des costumes éblouissants, Zaza triomphe au milieu de ses travestis, ou en famille avec son mari et son fils.
Une comédie acide et délirante

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Il faut saluer la profusion de décors pivotants, d’un côté le cabaret façon Lido enluminé de manière étincelante grâce à Bertrand Killy, de l’autre l’appartement de Zaza, avec au milieu la place ensoleillée de St Tropez, le café avec la plage au fond. Le tout est d’une ingéniosité prodigieuse et les moyens ici sont utilisés avec une éblouissante maestria technique. Mais la comédie prend ici tout son sens, et on rit aux éclats, avec la mise en scène, théâtre dans le théâtre, du mariage de Jean-Michel (Harold Simon), le fils d’Albin-Zaza et de Georges, qui se doivent de dissimuler leur homoparentalité et l’univers du cabaret trans aux parents de la jeune fiancée, dont le papa, Edouard Dindon, est un député de la droite extrême et la maman une grenouille de bénitier. Les manifestations contre le mariage pour tous, le choc de l’arrivée d’une famille traditionnelle au sein d’une famille libertaire, font ici décoller le spectacle dans un joyeux délire et la confrontation de ces deux extrêmes n’a hélas pas fini de faire des victimes. Dans le rôle de Georges, présent quasiment continuellement sur scène, le comédien et chanteur Damien Bigourdan est parfait, d’une discrétion et d’une finesse remarquable. Avec Laurent Lafitte, ils forment tous deux un couple dramatique et vocal épatant de sincérité et de justesse, sans jamais en faire trop. Emeline Bayart est renversante dans le rôle Marie Dindon. On rit, on pleure, et l’orchestre dirigé royalement par le chef Antoine Grapperon, déploie ses sonorités Broadway avec les trompettes, trombones et saxophones multiples, alors que le piano et l’accordéon mélancoliques rendent hommage à Jacques Brel et à Barbara pour la chanson française. Entre Paris, St Tropez et Broadway, voilà une folie toute à fait savoureuse.
Hélène Kuttner
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