“Le Mariage forcé” : farce terrible et magnifique
Le Mariage Forcé © Brigitte Enguérand
Dans une boite à jouer habillée de tréteaux de bois blanc qui se déconstruit, Louis Arene s’attaque à la plus courte des comédies de Molière en travestissant les personnages et en jouant avec des masques souples et monstrueux. Julie Sicard et ses camarades de la Comédie Française s’adonnent sans s’économiser à une flamboyante démonstration qui fait exploser tous les genres de prototypes : magistral.
Grand guignol conjugal

© Brigitte Enguérand
Quelle grande idée d’avoir confié à la frêle Julie Sicard le rôle du ridicule et vantard Sganarelle, risée de tout son entourage ! La tête coiffée d’un masque de vieillard, le crâne dégarni et un drôle d’habit campagnard qui laisse émerger des mollets rougeauds, voici la comédienne parée à tous les ridicules, la voix criarde et le ventre bedonnant, en quête d’une épouse. Méconnaissable, l’actrice tout feu tout flamme n’a plus ni genre ni sexe, engagée tout entière dans la quête éperdue de son personnage bestial et vantard qui cherche à se procurer une compagne pour ses vieux jours et sa descendance. Sganarelle, qui tient autant du barbon de L’Ecole des Femmes que de L’Avare, prend des conseils chez tous. Voici Géronimo son ami, qui surgit d’une porte qui s’ouvre, joué par Gaël Kamilindi, visage sculpté dans le bois d’une marionnette, qui ne peut lui faire entendre raison, comparant son âge avancé à celui de la jeune promise, puis le philosophe Pancrace, crâne d’oeuf oblongue et yeux charbonneux, vêtu d’une longue blouse noire ouverte dans le dos sur ses fesses nues, qui se gargarise de son savoir en latin et en grec sans jamais écouter son interlocuteur Sganarelle, qui se roule par terre comme un enfant.
Boite à jouer

© Brigitte Enguérand
Benjamin Lavernhe, longiligne, compose un éblouissant personnage de pédant funèbre et cocasse, qui rentre et sort par tous les cotés de cette boite blanche et contraste de sa grande taille avec le Sganarelle miniature de Julie Sicard. Il est étourdissant de vanité et de ridicule, mais l’image contrastée entre les deux, sous la lumière poudrée de François Menou, rythmée par la bande son de Jean Thévenin, est l’une des composantes grandioses de cette création qui mêle le cabaret, la comédie dell’arte, la farce absurde de Samuel Beckett et la truculence généreuse des mises en scène d’Omar Porras et de l’univers outrancier de François Rabelais. Du théâtre pur, dérangeant, onirique et sexuel, rythmée comme un grand guignol qui écorcherait tous les travers des hommes. Un Molière à vif, sans perruques, mais dont les dialogues acérés, directs de cette pièce en deux tableaux seraient un précipité burlesque de tout son théâtre.
Citations de toutes les pièces

© Brigitte Enguérand
Les Fourberies de Scapin, que Lionel Lingelser, collaborateur artistique du metteur en scène, avait d’ailleurs joué, sont très présentes ici, mais aussi Tartuffe ou Le Malade Imaginaire. Car la jolie jeune femme que souhaite épouser Sganarelle, incarnée sur scène par Christian Hecq, clown céleste, n’en fait bien sûr qu’à sa tête et pour se venger du pouvoir prédateur des hommes, entend bien prendre les amants qu’il lui plaît. En robe de tulle chair et en crinoline de voiles, le comédien pervertit le rôle de Dorimène en lui donnant beaucoup plus de chair, de muscles et de pouvoir, dans le sens du rééquilibrage des rôles en faveur de la femme. Une femme de tête, monstrueuse et vorace, qui tient bien à se venger des mâles dominants. Enfin, Sylvia Bergé est travestie en Alcantor, le père de Dorimène, et en bohémienne mystérieuse et roublarde qui va, avec deux autres sorcières, conter la bonne aventure au héros en le dépouillant de son argent. Chaque scène est un bijou de drôlerie et de savoir faire, autant du coté des costumes que de la mise en scène ingénieuse et précise. Quand à la fin, Sganarelle prend conscience de la vanité et du ridicule d’un mariage voué à l’échec, les deux frères de sa promise viennent lui rappeler sa promesse de manière extrêmement musclée et menaçante et le lourdaud vantard du début se métamorphose soudain en malheureuse victime de sa bêtise. Du grand théâtre, avec des images fortes et des comédiens éblouissants pour incarner l’essence même de la satire sociale et de la farce.
Hélène Kuttner
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