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“Médée” revient à Paris pour enflammer le Palais Garnier

© Elisa Haberer

La production du metteur en scène écossais David McVicar, créée à Londres en 2013, débarque pour la première fois à Paris avec le chef d’orchestre William Christie et son ensemble Les Arts Florissants. La splendeur musicale de cette unique tragédie lyrique de Marc-Antoine Charpentier trouve ici une distribution brillante, dont la jeune mezzo-soprano Lea Desandre dans le rôle titre. 

“Que je serais heureux si j’étais moins aimé !”

© Elisa Haberer

Médée, qui fut immortalisée en 1969 par Maria Callas dans le film de Pasolini, aime passionnément Jason, qui le moins que l’on puisse dire est qu’il ne répond pas à cette passion. C’est pourtant grâce à Médée la magicienne, petite fille du Soleil, que Jason a pu obtenir le sublime trophée de la Toison d’Or, et c’est pour tous ses pouvoirs magiques que le prince de Tessalie a souhaité l’épouser. Et voilà que le vaillant guerrier, après quelques années, se détourne de la mère de ses enfants et tombe amoureux de Créuse, la fille du Roi Créon, qui la promet à Jason en échange d’une protection militaire. L’opéra de Charpentier, composé sur un livret de Thomas Corneille, le frère cadet du célèbre dramaturge dont il s’est inspiré, débute très clairement sur le le dépit amoureux de la malheureuse Médée, enlaçant ses enfants, et pressentant l’affreux exil qui devra frapper cette étrangère. Mais l’inconstant Jason ne sait pas que la mère de ses enfants va les sacrifier, ainsi que provoquer la mort de sa rivale dans une fureur vengeresse que rien n’arrête.

Rivalités militaires durant la Seconde Guerre mondiale

© Elisa Haberer

L’action de déroule sur fond de rivalités militaires durant la Seconde Guerre mondiale, dans des salons aux murs immenses embrumés de la fumée des cigares, où des militaires fiers de leurs décorations rutilantes se haussent du col et se disputent les jeunes femmes dans des fauteuils club en cuir vieilli. Jason fait partie de la Navy, et Oronte, son rival, appartient lui à la Royal Air Force. David McVicar s’amuse à transposer la tragédie dans l’antichambre du conflit mondial, en jouant avec les clichés du cinéma et de la comédie musicale américaine. Magnifiques, les décors et les costumes signés Bunny Christie sertissent les interprètes de costumes et de robes à la coupe effilée des années 40, donnant à la blonde Créuse la chevelure platine et la robe blanche de Marylin Monroe. Quant au roi Créon, il ressemble étrangement au Général de Gaulle dans son uniforme vert kaki et sa raideur hiérarchique. Mais le metteur en scène pulvérise cette solennité amidonnée et le sérieux de la tragédie antique avec des chorégraphies enlevées qui mélangent le disco et le jazz, le rock et la danse acrobatique dans des lumières soyeuses de Paule Constable. C’est fulgurant et fort bien réalisé, mais il n’est pas certain que cette transposition et que l’aspect parodique des rivalités entre les deux armées, matelots contre aviateurs, soit forcément pertinent pour apprécier au mieux les enjeux de l’opéra.

Une distribution à l’énergie vibrante

© Elisa Haberer

Lea Desandre a su developper un épanouissement humain, artistique et professionnel grâce au Jardin des Voix, l’académie de musique baroque des Arts Florissants dédiée aux jeunes talents dirigée par William Christie. Le compagnonnage de la jeune interprète à la carrière brillante et le vénérable chef-d’orchestre et pédagogue, amoureux du baroque, trouve ici, avec la partition luxuriante de Charpentier, une harmonie parfaite. Diction claire, timbre rond et suave, engagement d’une belle sincérité, la Médée de Lea Desandre est tout entière fragilisée par le désamour et la trahison de Jason. La tristesse se mêle à la fragilité, la vulnérabilité en vengeance diabolique. La deuxième partie, celle où la magicienne met a exécution son plan meurtrier, déployant une gestuelle expressionniste et féline de danseuse aguerrie, est à cet égard plus poignant que le début de la représentation qui manque d’extraordinaire, d’humanité déchirée. Le Jason de Reinoud Van Mechelen est parfait, voix projetée sans faille, déclamation de belle facture et présence dramatique impeccable. Laurent Naouri est un impeccable Créon, droit dans ses bottes, qui se retrouve en caleçon chassant les nymphes dans la dernière partie. La Créuse d’Ana Vieira Leite, pour ses débuts à l’Opéra de Paris, déploie un lumineux et tonique soprano, fine et faussement ingénue, face à l’Oronte de Gordon Binter tonitruant et victorieux, aux médiums puissants. Enfin, Emmanuelle de Negri propose une Nérine parfaite, musicalement précise et engagée. Dans la fosse, entouré de ses musiciens et dirigeant aussi les chœurs, William Christie nous embarque avec la magie de sa science musicale et l’amoureux respect pour une partition somptueuse que l’on doit sans tarder découvrir. 

Hélène Kuttner

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