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“Prima Facie” : Elodie Navarre superbe en avocate prise au piège de la justice

© Fabienne Rappeneau

Après le succès de New York et de Londres, le monologue théâtral de Suzie Miller, ancienne avocate, est repris avec brio par Elodie Navarre au Petit-Montparnasse. La comédienne y campe une brillante avocate rattrapée par un viol dont elle sera la victime et luttant courageusement pour que justice soit faite durant plus de deux années. Un texte qui percute de plein fouet notre époque en évoquant la difficulté pour les femmes d’être entendues sur leur vécu et leurs traumatismes. Ce spectacle nous intime clairement à continuer le combat et à faire bouger les lignes.

Parcours sans faille

C’est une histoire banale et pourtant édifiante, vécue par une femme dans le plein épanouissement de sa carrière. Tessa Ensler est une brillante avocate pénaliste qui savoure ses victoires en détaillant avec une précision de chirurgien les étapes et péripéties des interrogatoires et de la défense. Ses dossiers favoris ? La défense des hommes accusés de viols, en balayant d’un revers de manche le témoignage des victimes, en raison de l’incohérence et de la confusion de leurs discours. Rien de tel pour remettre en question la plainte d’une femme qui dit avoir subi une agression sexuelle que de mettre en doute sa parole, la chronologie des faits, la cohérence des actes et bien sûr son refus de consentir. Tessa enchaîne les victoires comme une déesse de la justice les trophées, traquant comme un parasite la moindre des incohérences et rendant aux hommes leur impunité, inversant de ce fait les positions d’accusé et de victime.

La faille

© Fabienne Rappeneau

Un soir où Tessa accepte l’invitation d’un brillant avocat avec lequel elle a noué une relation complice, et après de nombreux verres d’alcool, la jeune femme subit de la part de son collègue une lourde agression sexuelle. Elle devient à part entière, cette nuit-là, la victime d’un viol dont l’agresseur n’est autre que son brillant collègue de travail, dont la réputation de probité ne fait aucun doute. Comment passer du rôle d’avocate victorieuse, dominant ses dossiers et la spécificité de ses articles de loi, au rôle d’une victime traumatisée, anesthésiée par la violence masculine, sommée par la société de taire cet acte ? Tessa hésite, mais souffre trop pour se taire. Elle croit en la justice et décide de porter plainte, se fait auditionner par la police et les médecins, durant une période qui aboutira, plus de deux ans après, à un procès. Elle devra changer de cabinet et continuer de travailler en portant cette blessure à jamais inscrite dans son corps et dans ses affects. 

La performance d’une comédienne

© Fabienne Rappeneau

C’est Elodie Navarre qui a porté ce texte haletant à Géraldine Martineau pour qu’elle la mette en scène, dans un décor tout noir où se découpe la lame de fond d’un miroir fumé. Les lumières de Nieves Salzmann sertissent avec précision la comédienne, somptueuse dans cette partition qu’elle maîtrise avec la précision d’une musicienne. Dans un costume masculin de battante, cheveux plaqués et profil aigu, elle raconte son parcours, sa jeunesse modeste dont il faut s’extraire par un parcours d’excellence, les meilleures universités et les meilleures notes, pour intégrer l’un des cabinets les plus célèbres de Londres. Battante, solaire, brillante et sans scrupule, la comédienne parvient à tracer un extraordinaire chemin de vie où la femme victorieuse tombe soudain de son piédestal durement conquis pour devenir la plaignante, celle que l’on souille et que l’on terrasse, que l’on humilie violemment et que l’on bafoue. Elodie Navarre est magnifique dans ce voyage, qui va de la lumière à l’ombre de la souffrance et de la solitude. Elle est dure et sensible, fière puis misérable.

Elle explique, avec la minutie d’une juriste, la difficulté pour le corps judiciaire et la société de reconnaître la souffrance et le désespoir des femmes, auxquelles il est souvent reproché de ne pas dire la vérité, de ne pas respecter les preuves logiques, alors que toutes les études démontrent qu’une victime de viol est dans un état où le choc brouille la mémoire des faits et perturbe leur logique. A la barre, dans la scène finale, elle est une femme brisée sous les coups de boutoir de l’accusation, mais heureuse d’être allée jusqu’au bout de son combat. Il faut saluer cette performance théâtrale, saluer l’énergie à dénoncer les failles d’une société encore trop timide à dénoncer les violences que subissent les femmes.

Hélène Kuttner

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