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Sébastien Guèze : les enjeux environnementaux qui font l’opéra de demain

Rencontre avec Sébastien Guèze, chanteur lyrique, dans le cadre d’une semaine thématique : Comment la culture change le monde ? De son constat dans le secteur lyrique à la publication de son manifeste : Biopera. Un futur pour l’opéra ?

Pouvez-vous vous présenter et nous parler de votre parcours ?

Je m’appelle Sébastien Guèze et je suis chanteur lyrique. En ce moment, je suis en production à l’Opéra de Leeds (https://www.operanorth.co.uk/) en Angleterre. Je viens d’Ardèche et j’ai d’abord effectué un DUT à Nîmes en Science et Génie des Matériaux. Puis j’ai poursuivi avec un master au sein de l’IAE (Institut d’Administration des Entreprises) de Montpellier pour finalement me lancer dans ma passion : le chant.

Qu’avez-vous constaté en arrivant dans le monde de l’opéra ?

L’opéra peut être un secteur très conservateur se manœuvrant comme un paquebot, il est donc difficile de le transformer. Les problématiques sont multiples, à savoir le gaspillage des décors et des costumes, l’énergie, les achats, les transports et la “boulimie de la création”. Des artistes ou directions avec qui j’ai voulu en discuter m’ont souvent répondu que c’était un sujet très risqué ou auquel nous manquions de formation. La scénographie est un aspect fondamental de l’empreinte écologique d’une production. Aujourd’hui on est confronté à une forme d’ego qui mène à un fantasme de la création, avec l’impression que lorsque l’on crée on entre dans une forme de toute-puissance, seul gage de rayonnement et d’attente du public. Mais cela nous entraîne dans une course sans fin qui n’est plus soutenable. Ça n’a plus de sens de créer un décor que l’on va jouer trois à cinq fois. Alors je ne dis pas qu’il faut refaire ad vitam aeternam le même Rigoletto ou Carmen mais qu’il faut accepter de pouvoir recycler et transformer le décor et les costumes dans une certaine connivence avec le public. Créer à travers l’économie circulaire en impliquant toutes les personnes dans cette relation. Il en va de même avec le déplacement des artistes, pour répondre à tous ces enjeux il faut rendre nos usages plus efficaces. Ralentir certains aspects pour préserver nos emplois et nos levers de rideau. Offrir la culture au monde sans lui nuire.
C’est ce que j’ai essayé d’essaimer à travers une trentaine de propositions comme par exemple la programmation en collections dont chacune est supervisée par une même équipe artistique, des spectacles différents dans un même module de décor, la troupe trimestrielle pour 2 à 3 rôles, le défi des 80% dont celui de la mobilité ferroviaire et de la réduction du cumul des heures de transport aérien pour un casting écologiquement raisonné, ou celle du billet responsable avec un « BIOpéra-score » pour sensibiliser le public.

Qu’est-ce qui a mené à votre prise de conscience, puis à votre engagement par rapport aux problématiques environnementales ?

J’ai commencé à m’interroger sur les problématiques RSE il y a quelques années quand je me suis rendu compte que sur scène je chantais “ô nature pleine de grâce”, mais que j’étais venu sur place en avion. Je voyais aussi le gaspillage qui avait lieu à l’opéra. On crée un opéra pour le jouer dix fois maximum et puis que le décor est remisé dans des conteneurs ou alors détruit. Le gaspillage est aggravé par la course à la création qui se ressent dans le secteur. De plus, je trouvais cela absurde lorsqu’on m’appelait à l’international simplement parce que cela faisait “chic” d’avoir un ténor français aux États-Unis. On est en train de s’inscrire dans une course au rayonnement international, or ce n’est pas soutenable. Tous ces questionnements me trottaient donc dans la tête et avec la crise du Covid-19 j’ai eu le temps de mener une réflexion de fond. Comment allais-je pouvoir impulser un élan dans ma filière ? En m’appuyant sur les travaux du Shift Project et d’Arviva j’ai réalisé le constat dans le secteur du lyrique. Je l’ai synthétisé sous forme d’un essai qui se nomme Biopera. Quel futur pour l’opéra ?. C’était une manière de poser une pierre dans cette filière et de dire : maintenant on sait, on ne peut pas se cacher et il faut agir.

Qu’est-ce que ça veut dire l’opéra de demain pour vous ? Qu’est-ce que cela va impliquer ?

Selon les accords de Paris, il faut que les Français passent de près de 10 tonnes de CO2 en moyenne par an par habitant à près de 2 tonnes d’ici 2050. Est-ce que les gens vont devoir diviser leurs usages par cinq ? Cinq fois moins de loisirs, de culture, et donc cinq fois moins d’opéras. Ou alors l’opéra réduit ses émissions et on continue à aller autant à l’opéra parce qu’il est devenu plus vertueux ? Dans les administrations de théâtres ça se traduit par : “Chez moi j’ai supprimé les gobelets plastiques”. C’est un exemple traditionnel qu’on connait tous et qui va représenter 0,1 ou 0,5% des émissions. Mais derrière on ne touche pas à des postes qui vont représenter 30 à 40 % des émissions comme par exemple les déplacements du public et des équipes artistiques.

Avez-vous des exemples de structures qui ont mis en place des changements efficaces dans ce milieu ?

Les pays nordiques sont clairement en avance. Par exemple, il y a l’Orchestre Symphonique de Lahti, en Finlande. En 2015, la direction de l’orchestre a réalisé un bilan carbone complet dans le cadre d’un projet municipal de réduction des émissions. Progressivement, l’administration a réorganisé le fonctionnement de l’orchestre pour devenir le premier orchestre 100% décarboné.
Il y a également un bon exemple en Angleterre avec l’Opéra de la ville de Leeds. C’est une structure qui met énormément de choses en place en termes de RSE. Leur situation est particulière puisque toutes ces actions sont mises en place car le financement de l’opéra en dépend. Si les actions ne sont pas réalisées, les fonds ne sont pas versés à l’opéra. Comme quoi, quand les mécènes et les ministères se décident à mettre la pression, les choses changent.

Un mot pour finir ?

Absolument ! Je suis convaincu que demain, entre un spectacle vivant qui aura une attention vis-à-vis de la planète et des enjeux sociaux, et un autre qui ne fait aucun effort, le public privilégiera le premier. Le public va tendre à favoriser les lieux et compagnies engagés ce qui est très encourageant. En résumé, il s’agit de faire de l’Opéra un lieu où l’Art symbolise un futur désirable en répondant aux enjeux sociaux et au défi climatique : Écouter les attentes des jeunes générations tout en atteignant la neutralité carbone.

Suivez l’actualité de Sébastien Guèze sur son site Internet.

Propos recueillis par Jean Colomes, Camille Guerra-Devigne, Valentine Mercier, Xavier Ouzounian, Amélie Prosper, Justine Roudier, Lucie Schroeder

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