Tartuffe d’après Tartuffe – Théâtre de la Bastille
Une bâche vert fluo au sol, qui rappelle les scènes de cinéma tournées avant l’ajout des effets spéciaux ; un radeau de la Méduse fait de photocopies scotchées les unes aux autres, comme pour signifier le naufrage bancal de la famille d’Orgon avec l’emprise exercée par Tartuffe sur le maître de maison : un autel de bric et de broc, qui évoque la religion de pacotille pratiquée par le faux dévot ; une bougie que les comédiens se passent comme un relais, et qui, chaque fois qu’elle s’éteint, déclenche toujours les mêmes exclamations – “Feu !”, “Lumière !”, “Molière”, comme si la pièce faisait une pause avant que la lumière ne se rallume…
Dans ce décor de carton pâte, les comédiens investissent l’espace, sous l’oeil attentif de Gwenaël Morin, alias Cléante, qui ne quitte jamais la scène. Julian Eggerickx est à la fois une Marianne niaise à souhait alors que son père donne sa main à un homme qui lui répugne, et un Tartuffe délicieusement onctueux, vicieux, fausse victime et véritable escroc. Loin de se dissimuler sous ses habits de dévot, il exhibe son torse pour séduire Elmire, révélant ainsi la duplicité du personnage. Face à lui, Renaud Béchet est une excellente Dorine, à la fois lucide et insolente ; Barbara Jung interprète une courageuse Elmire, prête à tout pour confondre l’imposteur ; Ulysse Pujo est très bon en Damis, qui devient un adolescent vengeur et maladroit… Quant à Grégoire Monsaingeon, il excelle à jouer le naïf Orgon, facilement trompé par Tartuffe.
Ses rapports avec sa fille Marianne sont présentés dans une ambiguïté incestueuse – ses mouvements lorsqu’il vilipende sa fille finissent par tenir de l’accouplement plus que de la correction paternelle, et le public est perdu entre rires et malaise.
“Théâtre veut dire : lieu où l’on voit. Le théâtre met la parole dans la lumière.” Telles sont les revendications de Gwenaël Morin. Si Orgon réclame régulièrement le noir, Dorine, personnage de connaissance s’il en est, capable de voir au travers des ronds de jambe de Tartuffe, rétablit, elle, la lumière. Lumière de la connaissance, mais surtout lumière de l’intelligence capable de reconnaître le faux dévot, de mettre au jour les zones d’ombre de chaque personnage. Un très beau travail, remarquablement juste, sur le texte de Molière, placardé sur un des murs de la scène.
Une très bonne occasion de redécouvrir une des meilleures pièces de Molière, autant dans la langue que dans l’étude de la nature humaine et de ses limites. Dans une salle comble, sous les ovations du public, la compagnie Gwenaël Morin déploie son théâtre avec maîtrise – et nous offre un second rendez-vous en novembre, même endroit, même heure… avec le Bérénice de Racine. On y sera !
Audrey Chaix
enjoy the theatre
A lire sur Artistik Rezo :
– Bérénice d’après Bérénice au Théâtre de la Bastille
– Dom Juan au Théâtre de la Bastille
Tartuffe d’après Tartuffe
De Molière
Mise en scène de Gwenaël Morin
Avec Renaud Béchet, Julian Eggerickx, Barbara Jung, Gwenaël Morin, Grégoire Monsaingeon et Ulysse Pujo
Du 27 septembre au 31 octobre 2010
Du mardi au samedi à 19h30, le dimanche à 15h30
Tarifs : de 13 à 22€
Théâtre de la Bastille
76, rue de la Roquette
75011 Paris
M° Bastille
[Visuels : © Pierre Grosbois]
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