Un “Cid” magnifié par la rage et la poésie
©ARTISTIC THEATRE
Au Théâtre Artistic Athévains, Frédérique Lazarini propose une mise en scène d’une limpidité magnétique du chef-d’oeuvre de Corneille, dont les alexandrins résonnent encore aux oreilles des petits et des grands. Un théâtre d’acteurs portés par une épatante distribution qui croise le fer aussi bien que le vers. À savourer de toute urgence.
« Rodrigue, as-tu du cœur ? »
Comment monter Le Cid aujourd’hui, à l’heure des réseaux sociaux, de TikTok et d’Instagram ? Comment faire entendre ces dialogues basés sur la loi et l’honneur blessé, sur la fidélité à une famille et à la vengeance face à l’affront ? Comment se passionner pour des combats de cap et d’épée, menés par des jeunes gens qui vont partir très vite à la guerre ? Corneille compose Le Cid en 1637, un an après le succès foudroyant de L’Illusion Comique. Cette tragi-comédie obtient un immense succès public, mais vaut à l’auteur des attaques en règles durant un an, en raison des emprunts qu’il aurait faits à l’œuvre espagnole de Castro. Il aura du mal à s’en remettre. Dans la pièce, chaque personnage, chaque alexandrin respire le parfum de la cour, de l’honneur basé sur la fidélité au souverain et à la famille, une morale ultra classique qui dominait sous Louis XIII et que la folie grandiloquente de Louis XIV, avec ses fastes et ses débauches, viendra balayer. Le succès de Racine évincera celui de Corneille.
Une mise en scène au cordeau

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Frédérique Lazarini a l’intelligence de monter la pièce dans un décor somptueusement épuré, à l’esthétique élégante et raffinée signée François Cabanat. La mise en scène inscrit l’action dans une temporalité ouverte, dans des lumières orientales et méditerranéennes. La distribution est concentrée autour de six comédiens au talent remarquable, vêtus de costumes stylisés et qui n’économisent pas leur énergie. Le vieux Don Diègue, outragé par le soufflet et la jalousie de son rival Don Gomes, est campé par Philippe Lebas qui donne à ce personnage, trop souvent caricaturé de manière poussiéreuse, une humanité lumineuse et virile. Quelle belle prestation le comédien nous offre-t-il, en défendant la paternité chaleureuse d’un père qui crie à la vengeance ! Bien sûr, l’acte de vengeance, qui passe par l’épée du fils, s’apparente totalement à la vendetta qui a encore cours aujourd’hui dans les pays du Sud. Mais ce père est tout entier acquis à laver cet affront, et son fils Rodrigue, qu’incarne Arthur Guezennec, s’empare avec une belle fureur de cette charge. Grand gaillard sportif, excellent escrimeur et comédien à la technique accomplie et au physique avantageux, ce dernier parvient à faire du héros un personnage attachant et entier, brisé par la douleur de son père et par son amour pour Chimène.
Le triomphe de Chimène

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Ce que l’on découvre vraiment dans ce spectacle lumineux, c’est à quel point le personnage de Chimène, héroïne malheureuse de cette tragédie, parvient à maîtriser parfaitement les intrigues des uns et des autres et à faire bouger les lignes. C’est elle qui exige de Rodrigue un acte de bravoure qui le rendra malheureux, elle qui exige de lui sa tête, que le Roi lui refuse par nécessité de conserver dans son armée son héros de guerre. Sa tyrannie passionnelle, écartelée par le dilemme entre la mort de son père et l’amour de Rodrigue, meurtrier de son père, rend le personnage beaucoup plus complexe qu’il n’y paraît. Chimène n’est pas ici jouée comme une jeune fille éplorée, passive et victimaire. Lara Tavella possède le physique frêle d’une Antigone, avec une énergie de feu. Sèche dans sa robe noire toute simple, elle ne laisse rien passer et reste tout entière mobilisée par ses affects et son dilemme. Guillaume Veyre est El Vire, le suivant protecteur qui prend la place de la suivante et du page, personnage sage et fraternel. Cédric Colas est magnifique dans sa double interprétation du Roi Don Fernand, magnanime et équitable, et du père de Chimène, cassant et agressif. Quentin Gratias est un Don Sanche très humain, velléitaire et courageux, amoureux malheureux de Chimène. Tous délivrent les alexandrins de Corneille avec la passion de leurs personnages et la sincérité de leurs désirs. Quand le théâtre est porté par une telle simplicité, et que l’on comprend tout, alors il peut devenir un véritable voyage poétique qui nous embarque très loin.
Hélène Kuttner
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