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Un tramway nommé Désir : violence et passion à la Scène Parisienne !

Patrick duCome 7 mars 2020
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“Désir”, c’est le nom du tramway qui passe dans la rue Desire. Il nous ramène à la Nouvelle-Orléans, au cœur même de la pièce de Tennessee Williams*, né le 26 mars 1911, emplie de couleurs musicales où pourtant tout nous renvoie à un drame qui se joue en noir et blanc…

Lumière tamisée par les persiennes, maison en bois typique de la région, dans la moiteur de la Louisiane où résonnent les notes mélancoliques de St James Infirmary**. Tout y est, y compris l’alcool, cet ami qui ne voulait de bien à personne et surtout pas à l’auteur qui était dépendant aux diverses combinaisons d’amphétamines et de barbituriques que lui prescrivait ce bon Docteur Max Jacobson surnommé Feelgood***. Tennessee Williams, à bout de force, en chute libre comme l’était son héroïne du tramway en est mort le 3 mars 1983. Bref ! c’est blousant le blues, cependant, la reprise de la dramaturgie par Manuel Olinger est très vivace avec de remarquables nuances de jeu des comédiens tout en énergie créatrice.

Historiette pour les ceusses qui savent pas : Blanche Dubois saute dans le tramway nommé « Désir » et atterrit chez sa sœur Stella qui est mariée avec un gars brut de décoffrage, amoureux mais violent. Stanley Kowalski est un ouvrier d’origine polonaise. Il ne supportera pas longtemps la présence de cette sœur dont avec perfidie il apprendra bien des secrets. Blanche ne serait pour lui pas si blanche que ça. Elle déstabilise sa vie quotidienne dans la mesure où en femme libre elle fait comprendre à sa sœur que nulle personne n’a à considérer le mariage comme une soumission. Ce qui n’arrange pas les affaires du beau-frère, d’autant que le gugusse boit pas mal et se montre moins repenti que violent selon un fâcheux pli qu’ont pris les mâles en s’installant dans l’intérêt conjugal à sens unique.

L’amour est au centre de la pièce

Le metteur en scène tient à le préciser, pour lui, c’est l’amour qui est mis en scène. Du film qui fit connaître Marlon Brando, sorti le 18 septembre 1951 et réalisé par Elia Kazan, il nous dit : « L’adaptation cinématographique ne correspond pas à la vision que j’ai de l’œuvre, elle est trop axée sur la relation de Blanche et Stanley. Stella est l’enjeu de cette guerre de territoire entre Stanley et Blanche. Or, le rapport de ces deux personnages est conditionné par Stella (la sœur de Blanche, l’intruse) et non par une attirance charnelle ou le désir de séduire »

 Convictions, violence, sensualité, énergie, émotion…

Dans cet univers de précarité, chacun tire sa carte personnelle en s’appuyant sur l’autre. Vous devinerez que Stanley a besoin de Stella comme il a besoin de son pote Mitch, l’ami de tous leurs combats au cours du deuxième conflit mondial. Vous vous direz que Mitch et Blanche pourraient avoir la clef pour se sauver mutuellement, eux qui sont ainsi que l’écrit le metteur en scène « comme deux infirmes qui peuvent se sauver l’un l’autre ». Manuel Olinger qui en outre interprète Stanley avec une généreuse conviction et avec une violence sans retenue nous dit que « l’amour est au centre de cette pièce. Il permet de se construire. Sans lui, la réalité n’a plus d’intérêt, c’est pour l’autre et à travers l’autre que l’on existe ».

Le bon choix a été fait d’insister davantage sur la relation existentielle que charnelle. Il n’en reste pas moins vrai qu’aborder de la sorte Tennessee Williams par la voie instinctive nous offre une parfaite adéquation entre ce qu’est la réalité de l’auteur et ce que représentent la puissance et la belle hargne d’excellents comédiens dont la force évocatrice de leur personnage nous jette en équilibre instable sur le fil de leur déraison.

Cette belle adaptation de Pierre Laville pour un terrible, fort, puissant, émouvant et profond moment de théâtre (Cie Div’Art) nous jette sans prudence au croisement de quelques tramways qui se nommeraient ceux des mille désirs et qui transporteraient quelques personnages que l’on saisirait au carrefour dangereux de leur micro destin. Ce spectacle installé à la Scène Parisienne jusqu’à fin avril mériterait une prolongation dans la durée afin que nul ne rate pour cause de propagation inopinée d’un virus inattendu cette belle interprétation d’une pièce qui n’en a pas fini de dire les secrets qu’elle recèle.

patrick ducome          

*Un tramway nommé Désir de Tennessee Williams. Jouée pour la première fois en 1947, la pièce remporte le Prix Pulitzer en 1948. Traduite dans de nombreuses langues, régulièrement reprise au théâtre et au cinéma, elle est une référence incontournable de l’œuvre de Tennessee Williams.

** St. James Infirmary est une chanson basée sur une chanson folklorique traditionnelle anglaise du XVIIIe siècle d’origine inconnue, appelée The Unfortunate Rake également connue sous le nom The Unfortunate Lad ou The Young Man Cut Down in His Prime. Son enregistrement par Louis Armstrong en 1928 l’a rendue célèbre.

*** Le docteur Max Jacobson a traité de nombreuses personnes célèbres entre autres Lauren Bacall, Ingrid Bergman, Léonard Bernstein, Humphrey Bogart, Marlène Dietrich, Elvis Presley, Anthony Quinn, Elizabeth Taylor, Judy Garland. Référez-vous en particulier à ses relations avec Tennessee Williams, Marilyn Monroe et John F. Kennedy. Surnommé «Dr. Feelgood», Jacobson était connu pour ses injections de «régénérateur de tissus miracles», qui se composaient d’amphétamines, d’hormones animales, de moelle osseuse, d’enzymes, de placenta humain, d’analgésiques, de stéroïdes et de multivitamines.

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