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Renan Carteaux

13 mai 2011
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Renan Carteaux

Il y a plus : au sein même du cinéma, entre films d’action (Jaquou le Croquant), comédies (Sans arme, ni haine, ni violence), satires sociales et sentimentales (Les ambitieux), réflexion sur l’amour (Malika s’est envolée), mais aussi entre long, moyen et court métrages. Pour lui, incarner des personnages en questionnement sur l’incapacité à aimer, comme dans Malika s’est envolée, est source de défis fertiles : « C’est toujours plus intéressant de travailler sur les failles d’un personnage… C’est par elles qu’il prend corps. »

Les internautes pourront se précipiter sur le court-métrage disponible en intégralité de L’aller-retour, de Judith Havas. En moins d’un quart d’heure, le décor de l’existence humaine est planté, par une force poétique qui joue avec les symboles et les sentiments, sans jamais sombrer dans le cliché. Un train, une rencontre, un désir, un voyage… De réminiscences en projets, l’épopée humaine est non pas racontée mais suggérée par de subtiles situations burlesques, où l’absurde côtoie le réalisme, emmenant le spectateur de l’empathie légère à l’angoisse la plus radicale… On n’en dira pas plus. Sauf que «  pour son premier film, cette réalisatrice de 25 ans a su créer une réelle expérience de plateau, en emmenant l’équipe en douceur vers un travail nourri de sa passion pour les lettres et les choses de la pensée. »

Plébiscité par la télévision, il tourne dans de nombreuses séries populaires (La maison des Rocheville) et policières ( P.J., Julie Lescaut…).

Côté théâtre, pas moins de diversité. De la tragédie cornélienne (Le Cid) au marivaudage (La dispute), on retrouve la même gymnastique, celle du grand écart. Mais aussi « jouer dans des pièces comme Stop the tempo de Gianina Carbonariu, où nous avons été tous les trois sur scène en continu, sur le désœuvrement de notre génération…. fut particulier, et porteur d’une dimension forte : à l’heure où les émeutes explosaient en banlieue, jouer prenait le sens d’une actualité politique brûlante… Et puis La trilogie de Belgrade de Biljana Srbljanovic, une triade de pièces sur des serbes expatriés, sur les difficultés de survivre et comprendre l’extérieur, les autres, le monde, j’ai aimé travailler et approfondir cette incapacité à être au monde, à se reconnaître dans une société ».

A quoi est due une telle diversité d’adaptation qui n’est pas si courante ? Peut-être à une formation sérieuse au conservatoire national supérieur d’Art dramatique, où il a « éprouvé ma force de travail ».

Il aurait pu devenir prof de lettres, en achevant son hypokhâgne, en poursuivant un parcours classique à la fac. Il a décidé d’exprimer plutôt son tempérament artistique, nourri par son empathie pour autrui, par l’art. D’abord avec des cours de dessin et peinture. Qui l’ont déçu, pour notre chance.

Peut-être cette diversité a-t-elle lieu aussi car il écrit des nouvelles, a soif de poser ses idées et sentiments sur le monde en créant une trace tangible… Je serai cet étranger, par exemple, récit gris, à la première personne, d’un ton évoquant la littérature américaine ou l’influence qu’elle a eue sur un Camus, poignarde nos espérances sur la vie de couple, cette projection fantasmatique vouée davantage à la certitude illusoire qu’à un salut galvanisant. Une réelle invitation à réfléchir sur le sens de l’altérité, ses aléas lorsque l’engagement s’en mêle. Autre plongée, radicale et déchirante, sur l’ego, son absence de sens s’il ne se laisse pas déchirer par la prise de risque à laquelle appelle l’irruption de l’alter, se trouve dans Ton voisin du dessous, épopée lente et silencieuse vers le gâchis, l’appel en absence, la tragédie solitaire de ne pas être parvenu à débarquer à temps dans l’océan des tourments inconnus de celle qu’on aurait aimé sauver, nous lance une flèche dans le cœur en nous ramenant à tous les « si j’avais » que nous nous sommes forcément dit et reproché, mais ici poussés à l’extrême par une fiction qui fait danser le spectre de la lâcheté en une poésie en sourdine de la fuite. A l’image d’une Eve de Joyce, passant à côté de ce que pourrait être une vie heureuse, du moins osant le risque de l’être…

Sans doute cette diversité est-elle due également à une curiosité culturelle allant de la boxe au piano, en passant par la danse. » J’ai eu envie de danser le tango argentin, seule danse où tu ne regardes pas ta partenaire, mais où l’échange passe par une perception sensorielle du coup plus forte, et où il y a une recherche sans fin… Là, il y a improvisation et sensualité viscérale. Mais tout comme la boxe, si l’on n’a pas une conscience aiguisée de l’autre, on meurt ! » Passer par les limites et l’extrême pour mieux poser son jeu. Certainement cette adaptation à des genres différents a aussi un lien avec son humanisme, fait d’une position politique sur le monde actuel et les aléas du capitalisme, sans concessions : « A l’heure où tout est privatisé, où la seule valeur proposée est le gain financier, en France comme en Europe, je continue à aiguiser mon sens critique de la politique, selon l’idée qu’on a fait le tour de la société délabrée humainement qui est de mise. Seule une réforme profonde pourrait changer le regard que les individus se portent. D’entrée de jeu, notre acteur impose donc un respect pour l’humilité, l’honnêteté et le désintéressement de quelqu’un qui « ne fait pas » comédien. Il vit, il rit, il se livre, sans manières et sans arrière-pensée d’intérêt, de promotion individuelle. La preuve : il n’a même pas de carte de visite. Tout est dit.

Bérengère Alfort

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