0 Shares 2145 Views

1993, saga désenchantée d’une Europe Playmobil

Hélène Kuttner 15 janvier 2018
2145 Vues

©Jean-Louis Fernandez

Le  jeune metteur en scène Julien Gosselin, maître en adaptations romanesques telles « 2666 » de Roberto Bolaño ou « Les Particules Elémentaires » de Michel Houellebecq, collabore aujourd’hui avec le journaliste et auteur Aurélien Bellanger pour évoquer le drame des migrants à Calais.

Le Tunnel sous la Manche est le terrible symptôme de la décadence de l’Europe, incarnée sur scène par 12 comédiens du TNS, porte-paroles de la jeunesse d’aujourd’hui dans une ambiance noire, saturée de décibels. Pas sûr que le message critique ou réflexif puisse passer de cette impérieuse manière.

©Jean-Louis Fernandez

Des tunnels qui défigurent l’Europe

Comment parler des crises de l’Europe aujourd’hui, des migrants à Calais, de la tragédie des réfugiés kosovars ou kurdes qui risquent leur vie pour « passer » dans les camions en Grande-Bretagne ? Comment évoquer les travers de l’Europe démocratique et flamboyante, la Jungle de Calais, ses entrepôts, sa misère crée par la possibilité de relier l’ile anglaise qui vient tout juste de voter son Brexit ? Le projet était attractif, car on connaissait le talent de Julien Gosselin et son collectif « Si vous pouviez lécher mon coeur » pour monter des spectacles choraux autour d’oeuvres romanesques et sociales. 12 acteurs tout fraîchement sortis du TNS et constitués en collectif, le Groupe 43, font partie de cette aventure menée par le metteur en scène et l’écrivain Aurélien Bellanger qui a composé un texte en forme de manifeste où l’économie, la philosophie et la science côtoient les écrits de Francis Fukuyama sur « La fin de l’histoire », ceux de Hegel et le discours de José Manuel Barroso et Martin Schulz répondant au prix Nobel de la Paix à l’Union Européenne en 2012.

©Jean-Louis Fernandez

Une paix en forme de décadence

S’inspirant de l’Eurodance des années 90 avec son cortège de techno et de musique électronique, Aurélien Bellanger part de l’année 1993 et de la construction du premier tunnel, le CERN à la frontière franco-suisse dont les 27 km parfaitement circulaires forment la fin de l’histoire européenne. Des lors, avec la construction quelques années plus tard de l’Eurotunnel qui signe la fin du Pas de Calais, l’Europe s’arroge, selon lui, un désir d’hégémonie, soumettant les peuples, l’humanité et la culture européenne au vertige de ses autoroutes lumineuses, des lignes blanches réfléchissantes, d’une perfection scientifique et géométrique au service d’une mondialisation commerciale toujours plus vorace qui broie les identités humaines. Dès lors, durant la première heure du spectacle, les 12 comédiens ne sont que les voix désincarnées, hurlantes, proférantes, d’un texte en forme de manifeste alors que l’environnement scénique projette les striures blanches des néons du tunnel, hallucinant ballet de flashes qui éclatent dans les yeux, blanc sur noir, tandis que les voix sonorisées des comédiens, athlètes du plateau, déclament de plus en pus fort les phrases du texte pour exprimer la colère de jeunes européens de 20 ans au regard de cette Europe de pacotille et de mépris.

©Jean-Louis Fernandez

La partouze d’Erasmus

Passée la première partie du spectacle qui assaille le corps et le coeur de vibrations telluriques, tandis qu’au dessus du plateau, l’immense écran vidéo projette des images de la jungle de Calais, avec ses barbelés et ses Algecos, la froideur de ses paysages du Nord et ses autoroutes sillonnant la campagne, les acteurs passent à l’incarnation de leurs personnages, européens d’aujourd’hui réunis pour une fête « Erasmus » dans un appartement où trônent Jeanne D’Arc et Charles Martel, toutes nationalités européennes réunies pour dire qu’ils s’aiment, que plus jamais il n’y aura la guerre, dansant frénétiquement sur de la musique techno aux basses saturées. La caméra est là aussi, dans la pièce, pour les filmer en gros plan, de manière à détailler sur l’écran les visages et les attitudes. On se trémousse, on flirte, on drague, on allume à coups de gin et de vodka, on fume du tabac et on snife des rails de cocaïne, tout cela en direct, pour finir en partouze généralisée avec violence affichée dans les rapports. L’image d’Erasmus, dispositif de coopération européenne pour les jeunes qui va de la Turquie à l’Islande, se limiterait donc à cette dérive libertaire, où des jeunes sans cervelle profèrent des âneries et ne se préoccuperaient que de leur bien être addictif et sexuel ? D’autant que cet excès de liberté généralisée, dans ce monde d’après la Chute du Mur de Berlin, se solde par une dérive suicidaire. Le spectacle, pour le coup, semble rater sa cible, tant il simplifie, il surligne, il impose un propos radical, monolithique, sans laisser au spectateur le souffle d’une réflexion sur une thèse pour le moins nihiliste. L’Europe est en crise, certes. Mais l’Histoire n’est pas finie.

Hélène Kuttner

Articles liés

Concerto pour violon de J. Brahms à la Salle Gaveau
Agenda
71 vues

Concerto pour violon de J. Brahms à la Salle Gaveau

Pour les amoureux de concert classique, la Salle Gaveau nous promet de la haute qualité avec un nouveau concert en mais avec J. Brahms et l’orchestre de CRR de Paris.  Au programme :  J.BRAHMS Concerto pour violon en ré...

Récital de piano avec Barry Douglas à la Salle Gaveau
Agenda
71 vues

Récital de piano avec Barry Douglas à la Salle Gaveau

Médaille d’Or du Concours Tchaïkovski en 1986, Barry Douglas se produit en récital sur toutes les grandes scènes du monde – du Royaume-Uni au Mexique, des PaysBas aux États-Unis. Il est l’invité de prestigieux orchestres, parmi lesquels le BBC...

Un « Dom Juan » sulfureux et maudit à l’Odéon
Spectacle
206 vues

Un « Dom Juan » sulfureux et maudit à l’Odéon

Projetant la pièce de Molière au 18° siècle, sous la tutelle du Marquis de Sade, Macha Makeïeff fait de cet anti-héros un prédateur sulfureux et languissant, interprété avec brio par Xavier Gallais dans un décor unique. Une course à...